ment pensables dans d’autres régions, dont l’ancrage national serait moins fragile.
Dans le même temps, la succession accélérée des hégémonies nationales, avec sa
démesure à l’occasion absurde suscite la recherche de nouvelles formes d’identité à
la fois réduite à l’échelle régionale et étendue à une dimension européenne trans¬
nationale.
Dans les épisodes évoqués ici, les lignes de front culturelles et politiques sur lesquelles
l’historiographie classique du Mouvement moderne a fondé son discours ne coïncident
guère. Les dirigeants totalitaires du Nazisme apportent leur soutien à des variantes
différenciées du modernisme, alors que les démocrates et les antifascistes français font
confiance à des traditionnalistes raffinés. Ces renversements de position qui peuvent
sembler étonnants marquent les limites d’une histoire fondée sur l’opposition entre les
"bons" modernes et les "méchants" traditionnalistes. Une problématique historique
prenant en compte l’après-modemisme, mais aussi les démarches pas clairement
progressistes dans toute leur ampleur devient ainsi à la fois possible et indispensable
pour penser l’architecture du XXe siècle dans toute son hétérogénéité.
Si nous revenons, d’ailleurs, à l’acception originale du terme d’avant-garde, qui n’est,
après tout, rien d’autre qu’un détachement militaire marchant en avant du gros de
l’armée, nous devrions nous demander où sont les armées architecturales en question
et vers où elles marchent, dès lors qu’elles rejoignent et absorbent les éclaireurs. Les
fragiles traces laissées par les avant-gardes sont le plus souvent rendues illisibles par
les solutions massifiées et brutales qui les suivent. Il n’est donc pas inutile de garder
l’oeil sur quelques - unes de ces pistes historiques, même si aucune distinction définiti¬
ve et convaincante ne peut être faite entre des formes de modernisation jugées
positives et des formes jugées négatives.
Nous devrons, en conclusion, relever que T'incomplétude" du projet de la modernité
ne s’inscrit pas seulement dans les circonstances de l’histoire du XXe siècle, mais
aussi, dès le départ, dans l’ambiguité politique des stratégies de la modernité elles-
mêmes, confirmée non seulement par les enquêtes portant sur des tendances se
projetant sur la longue durée, mais aussi par les analyses restreintes à des zones de
conflit plus limitées dans le temps et dans l’espace, comme celles dont il est question
ici. Et même si le projet moderne devait demeurer inachevé d’un point de vue social,
il reste pour l’architecture en tant que style du XXe siècle largement utilisé; les autres
propositions, délaissées par l’historiographie ou déclassées sous prétexte qu’elles
étaient non modernes ont pris un intérêt nouveau.
Nous pensons avoir contribué à ce reclassement, dans notre tentative pour rompre
avec les connotations habituelles associant les systèmes politiques avec des orienta¬
tions stylistiques aimées ou détestées et pour cesser de considérer l’année charnière
1945 comme une simple ligne de fracture, afin d’y voir plutôt la pierre de touche de
continuités jusqu’ici estompées.
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