En fait, cet échec doit être relativisé: c’est l’ensemble des plans initiaux de recon¬
struction aux ambitions globalisantes qui seront frappés d’obsolescence par le "mira¬
cle" économique de la jeune République Fédérale.
Projet et réalité urbaine
Est-il si surprenant que les tentatives modernistes allemandes de la période nazie
aient eu, en définitive, plus de succès que les entreprises françaises de l’après-guerre?
Le cadre politique totalitaire qui fonde l’existence des stratégies de Ernst Neufert* ou
de Rudolf Schwarz* n’existe plus sous une tutelle française certes cynique et impé¬
rieuse, notamment dans les premiers mois, alors que l’Allemagne redécouvre la vie
démocratique, et en particulier l’autonomie municipale. Quand bien même les villes
en ruines y correspondent aux rêves les plus débridés des urbanistes modernistes, ils
n’y trouvent en aucune manière des pages blanches, mais des sociétés locales organi¬
sées et influentes, alors même que la pénurie extrême en capitaux et en matériaux de
construction, d’ailleurs aggravée par les prélèvements français, empêche tout chantier
de quelque ampleur. Il faut aussi souligner que les Allemands avaient fortement
subventionné la reconstruction des régions annexées, tandis que les Français y puise¬
ront des ressources pour leur propre reconstruction.
Pourtant, en marge des différences politiques majeures opposant les deux cycles de
projet évoqués plus haut, de troublantes coïncidences apparaissent entre deux situa¬
tions dont le rapprochement peut à bon droit surprendre.
Le premier thème est celui des nouvelles géométries liées à la rationalisation de la
production. Dans les projets de Neufert* ou de Lods*, les formes urbaines ou ar¬
chitecturales ne sont pas fondées sur des choix d’ordre symbolique, liés à la reconduc¬
tion de distributions conventionnelles ou à la reprise de traces historiques mais sur
des choix métriques surdéterminés, d’un côté, par les exigences de la rationalité
projectuelle et de la production en série et, de l’autre, par la recherche d’une ventila¬
tion et d’un ensoleillement optimals.
Nous sommes là en présence d’un glissement majeur dans les stratégies modernistes,
si l’on accepte l’assertion de Jürgen Habermas, selon laquelle "la modernité est une
révolte contre tout ce qui est normatif'.12 Protagonistes, chacun de son côté, dans la
destruction des systèmes de composition traditionnels, tant Neufert* que Lods* ex¬
ploitent les conditions de chaque occupation pour forcer la réalisation de projets qui
sont bel et bien producteurs de normes et de conduites standardisées.
A côté de la question de la norme, ainsi posée, se dégage au travers de la recherche
du type celle de la construction d’un rapport nouveau, médiat, avec les traces de
l’histoire locale, qu’elles soient ou non inscrites dans le sol, des découpages et des
rythmes fonciers, aux gabarits urbains, et aux techniques de construction traditionnel¬
les. L’interprétation donnée par Emil Steffann* des villages lorrains dans ses croquis
et dans ses projets, que les choix ultérieurs de Pingusson* ne démentiront pas,
12 Jiirgen Habermas, Modemity-an Incomplete Project, in: Hal Foster (ed.), The Anti-aes-
thetic, Port Townsend, Bay Press, 1983, pp. 3-15.
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