Stéphane Jonas
La création de la cité-jardin de Stockfeld
À Strasbourg 1907-1912
Présenté souvent comme le symbole-victime du conflit historique entre la France et
l’Allemagne, la ville bi-millénaire de Strasbourg est en fait un des grands bénéficiaires
de l’urbanisation des villes allemandes du demi-siècle qui va de la constitution du
Reich jusqu’à la première guerre mondiale. N’oublions pas que l’urbanisme allemand
est alors le meilleur modèle sinon européen, du moins continental, à l’image de
l’économie et de l’industrie de ce pays. Capitale du Reichsland Alsace-Lorraine et
faisant partie d’un des réseaux urbains les plus remarquables de l’Allemagne, celui de
la Rhénanie Supérieure, Strasbourg est un lieu d’innovation aussi en urbanisme et en
architecture.1
En 1914, cette capitale régionale en pleine expansion compte plus de 150 000 habi¬
tants et en 45 ans elle a triplé sa population et son espace construit, en devenant une
ville moderne tertiaire, mais aussi industrielle. Touchée par les grandes migrations qui
ont suivi l’annexion, la nouvelle communauté urbaine composée essentiellement
d’autochtones alsaciens et d’arrivants dits Vieux Allemands, ressemble alors à une des
grandes villes de colonisation de la Prusse Orientale ou à une des villes américaines,
avec sa dynamique conflictuelle entre les deux communautés constituantes. Il serait
néanmoins exagéré et hasardeux d’en considérer uniquement l’impact négatif sur la
vitalité de la ville.
Strasbourg 1900 est non seulement une ville interculturelle et interethnique, mais c’est
aussi une ville cosmopolite, où les innovations sociales circulent vite et où le rôle de
l’étranger, der Fremde, redevient important, comme à l’âge d’or local de la période
post-Renaissance de la ville libre d’Occident. Un de ces étrangers éminents, le
sociologue et philosophe berlinois Georg Simmel, nommé Professeur à l’Université en
1914, auteur d’un essai célèbre sur l’étranger en 1908, peut constater sur place et par
expérience personnelle certains aspects de sa figure sociale à l’âge du capitalisme:
l’étranger urbain moderne arrive, mais il ne repart plus, il reste.2
1 Straßburg und seine Bauten, Architekten- und Ingenieur-Verein für Elsaß-Lothringen,
Straßburg 1984; Klaus Nohlen, Baupolitik im Reichsland Elsaß-Lothringen 1871-1918, Berlin
1982; Georges Livet et François Rapp, Histoire de Strasbourg, des origines à nos jours, T. IV.
DNA-Istra, Strasbourg 1982; Denis Durand de Bousingen, L’architecture à Strasbourg de 1903
à 1918: Styles, Ecoles et Hommes, in: Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg,
T. XV. Strasbourg 1983, pp. 59-80; Claude Denu et Eric Ollivier, Der Bebauungsplan für die
Erweiterung der Stadt Straßburg - Le Plan d’extension de la Ville de Strasbourg 1871-1880,
Diplome d’Architecture, LAUS, Strasbourg 1978.
2 Georg Simmel, Soziologie. Untersuchungen über die Formen der Vergesellschaftung,
(Sociologie. Recherches sur les formes de socialisation), Leipzig 1908. (chapitre IX. Exkurs
über den Fremden-Essai sur l’étranger, pp. 685-691). Une traduction en français de l’essai a
199