François Roth
Thionville OU L’ESQUISSE D’UNE POLITIQUE URBAINE7
Pendant trois siècles, Thionville a été une ville fortifiée de la frontière française de
l’Est au même titre que Verdun, Toul, Montmédy et Longwy, L’existence paisible des
habitants - militaires, propriétaires et artisans, vignerons et paysans - fut temporaire¬
ment perturbée par les sièges de 1792, 1814, 1815 et 1870. Au fil des générations
cependant, rien de fondamental ne changeait dans les structures, les fonctions, les
activités d’une ville qui oscillait entre 5000 et 7000 habitants. L’annexion à l’Empire
allemand (1871) a été une rupture considérable avec un passé français vieux de deux
siècles. Il fallut cependant attendre le début du XXème siècle pour que fut prise une
décision qui rompait avec le passé et engageait la ville dans de nouvelles voies. En
détruisant les vieux remparts, la municipalité faisait sauter un carcan et ouvrait
Thionville sur sa campagne et sur un environnement industriel en pleine croissance.
Enfin, cette ville recevait des possibilités d’expansion dont on peut mesurer au¬
jourd’hui, quatre-vingt dix ans après, les résultats.
Notre propos ici est de montrer comment et avec quels objectifs une politique
municipale d’urbanisme fut mise en oeuvre au début du XXème siècle et d’en mesu¬
rer les résultats en 1914, au moment où la déclaration de la première guerre mondia¬
le interrompait brusquement, et pour une décennie, un remarquable essor.
Une petite forteresse tranquille
Au milieu du XIXème siècle, Thionville était une petite forteresse plantée sur la rive
gauche de la Moselle. Sa superficie était seulement de 16 hectares alors que celle de
Metz était de 391 hectares. Un passage étroit débouchait sur un pont (de pierre
depuis 1846) qui traversait le fleuve et conduisait à deux ouvrages placés sur la rive
droite. La valeur militaire de cette place était médiocre. En novembre 1870, elle
n’avait pas résisté à trois jours de bombardements allemands.
A l’intérieur des remparts, l’espace dévolu aux bâtiments civils était réduit et quatre
mille personnes s’entassaient dans des maisons hautes bordant des rues très étroites.
Les autres habitants (1600 à 1800) étaient des paysans et des vignerons qui vivaient
dans les hameaux de Beauregard, Saint-François, La Malgrange, Sainte-Anne, Saint-
Pierre, La Briquerie, Haute et Basse Guentrange. Dans ces derniers hameaux se
1 Ce texte repose sur un dépouillement attentif de débats du conseil municipal de Thionville
et des journaux de l’époque, la Diedenhofener Zeitung (centriste), la Diedenhofener Bürger¬
zeitung (libéral) et l’Echo de Thionville (1928-1940). Il sera repris et élargi dans l’Histoire de
Thionville à paraître prochainement (Editions Serpenoises). Pour plus de références, on peut
consulter Roth (François), Thionville sous l’annexion (1870-1918), in Cahiers Lorrains, 1983.
Roth (François), La Lorraine annexée, 1870-1918, Nancy, 1976. Wittenbrock (Rolf), Bauord¬
nungen in Elsaß-Lothringen (1870-1918), St. Ingbert, 1989.
119