2. Les conduits mosellans
La nature des droits prélevés tant par les ducs de Lorraine que par les dynastes
luxembourgeois appelle quelques précisions. Sur base de la première ou des premiè¬
res mentions, il s’agit de tonlieu, de péage ou de passage. Par la suite, dès le milieu
du XIVe siècle à Sierck et à Wasserbillig, au XVe ailleurs, apparaît seul ou conjoin¬
tement avec cette appellation le terme conduit (conductus, geleit). Cette dernière
institution et son développement à la faveur du renouveau commercial qui s’amorce
au XIe siècle, sont connus. À une époque d’insécurité chronique, le conduit répond
au besoin ressenti par les voyageurs, les marchands, les voituriers et les bateliers
d’obtenir des garanties du souverain. Quelle qu’en soit la forme - escorte armée,
document écrit ou simple engagement verbal -, le conduit consiste en "une protec¬
tion concédée à un individu ou à un groupe de personnes traversant une région ou
se rendant en un lieu déterminé". Au début, le monarque était seul habilité à accor¬
der un conduit mais, avec l’affaiblissement du pouvoir royal et l’essor de la féoda¬
lité, les princes territoriaux obtiennent ou s’arrogent peu à peu ce droit22.
En 1259, Alphonse X, roi des Romains, investit Ferry III de Lorraine des fiefs
relevés de l’Empire par les ducs de Lorraine, notamment la garde (custodia) des
voies publiques tant par terre que par eau dans toute l’étendue de la principauté23.
Quelque trente-six ans plus tard, le roi des Romains Adolphe de Nassau investit
pareillement Henri VII de Luxembourg de plusieurs fiefs détenus déjà par ses pré¬
décesseurs, dont le conduit (conductus) des routes publiques et du cours de la
Moselle24. Dans l’un et l’autre cas, la concession initiale ne peut être précisément
datée. Dans le Luxembourg, elle remonterait au XIIe siècle25.
Des travaux récents s’accordent à voir dans le conduit un péage distinct des anciens
droits de passage, un impôt nouveau et supplémentaire mais souvent intégré à des
péages ou tonlieux existants26. On ne s’étonnera dès lors pas que, dans les docu¬
ments régionaux du bas moyen âge, les termes tonlieu et conduit ou zoll und geleit
soient fréquemment employés ensemble ou utilisés indifféremment l’un pour l’autre.
Les tarifs d’imposition du trafic mosellan aux XVe et XVIe siècles, tant à Sierck
qu’à Remich, n’introduisent pas de distinction entre le tonlieu et le conduit, une
22 De Craecker-Dussart, Évolution, p, 185-186. Voir aussi DOEHAERD, Féodalité.
23 custodias publicarum stratarum in dicto ducatu tam per aquam quam per terram (Jansen, War das
Herzogtum Lothringen im Mitteialter Reichslehn?; THOMAS, Zwischen Regnum und Imperium, p.
167). - Le 12 février 1354, Charles IV confirme la possession du conduit (notamment sur la Moselle
à Sierck) à Marie de Blois, veuve du duc Raoul de Lorraine, et à son époux, le comte Ferry de
Linange (MGH, Leges. Constitutiones et acta publica imperatorum et regum, t. XI, n° 63® - Confir¬
mation ultérieure pour le duc Jean F en 1361 (Thomas, Die lehnrechtlichen Beziehungen, p. 194).
24 de conductu stratarum publicarum et fluminis de Musella prout eum antecessores sui tenerunt (UQB,
t. VI, p. 70-72, n° 613).
25 En 1161 déjà, Henri l’Aveugle, comte de Luxembourg, faisait remise aux moines de Saint-Hubert
des redevances dues à Bitburg pour le conduit des chariots de vin (Rousseau, Actes, p. 39-41).
26 De Craecker-Dussart, Évolution, p. 227-228; Doehaerd, Féodalité, p. 208 et 210,
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