b) Le duché reçut enfin un nom.
Le royaume de Lothaire s'est donné la cohésion qui lui manquait grâce à l'aristocratie qui se
bat pour être maîtresse de son destin. On se méfie d'elle et les chroniqueurs parlent de plus
en plus souvent des gens de Lothaire, des Lotharienses, à une époque où Lothaire n'existait
plus, mais on redoute ces nobles insoumis et prompts à changer d'avis. De Lotharienses on
passe peu à peu à Lotharingi et à la fin du siècle on invente Lotharingia. Le nom de ce pays
Lotharingie n'est pas la contraction de Lotharii regnum, mais la désignation du pays des
hommes de Lothaire. Pour donner définitivement un nom au duché on est passé par les
fidèles du roi. Le nom apparaît pour la première fois sous la plume du chroniqueur Liut-
prand vers 975.40
c) La fausse cohésion du pays
La cohésion de la Lotharingie n'est qu'apparente, car ce pays est très morcelé et on le voit
bien aujourd'hui encore dans Ihistoire qui en est faite. On constate qu'il existe plusieurs
blocs territoriaux de consistance différente selon l'angle sous lequel on observe ce pays
d'entre Meuse et Rhin:
- d'abord deux espaces séparés par l'Ardenne et qui ont naturellement donné naissance à
deux duchés, tous deux appelés Lotharingia, dont l'un est devenu Lorraine et l'autre
Lothier;
- ensuite il y a une autre coupure, celle qui sépare les régions de langue romane de celles
de langue germanique;
- enfin des grosses régions au destin individuel: les trois évêchés lorrains et leur duché, le
pays de Trêves jusqu'au Rhin, le pays de Liège auquel on joindra Utrecht, le Nord du
pays avec Cologne et la Frise, un véritable patchwork. Cela se manifeste aujourd'hui par
l'absence d'une histoire complète de la Lotharingie.
d) ses chances
Un dernier point est heureusement positif, c'est l'activité de ce pays au meilleur sens du
terme, son dynamisme, sa créativité. Cette conclusion, à laquelle j'aboutis, est le fruit sans
cesse renouvelé de plusieurs constatations, le regard jeté sur des cartes ayant des objectifs
différents : les voies de circulation, l'écriture ornée, la querelle des investitures, la réforme
de l'église, les mouvements artistiques, celui des béguines et des mystiques, les collèges des
jésuites,et l'on pourrait continuer jusqu'aujourd'hui.
A chaque fois, la conclusion est la même, elle conduit à reconnaître l'existence d'une
zone centrale au coeur de l'Europe d'hier et d'aujourd'hui, qui s'étire des Pays Bas à l'Italie
du Nord entre le Rhin et la Marne, et où circulent de façon incessante des courants de per¬
sonnes, d'idées, de créations, de sorte que cette région est créative, parce qu'elle confronte
sans cesse deux civilisations, les mélange et les distingue. Le frottement de deux cultures le
long de la frontière des langues a excité les esprits, enflammé les imaginations. Cette zone
de contact entre le nord et le sud devient du même coup un relais pour les institutions et les
idées entre l'ouest et l'est. On a longtemps pensé à l'époque moderne que ce pays était une
marche des deux royaumes qui la bordaient; mais à l'époque carolingienne et jusqu'au
40 PA RI SSE, Austrasie, (cf. note 38), p. 69.
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