Pierre Riché
LES ECOLES DE LOTHARINGIE AUTOUR DE L'AN MIL
Pendant longtemps le Xe siècle était considéré comme une des plus sombres périodes de
l'histoire médiévale dans le domaine religieux et culturel. Selon de bons auteurs la Lotha¬
ringie n'échappait pas à ce sort. Nous sommes heureusement bien loin de cette opinion. Le
Xe siècle n'est plus le siècle de fer et de plomb selon la définition d'un savant cardinal du
XVIIe siècle. Oserais-je dire comme je l'ai fait avec un peu de provocation que c'est un
nouveau grand siècle?1 Du moins la fin du Xe siècle est pour l'Occident un période de
renaissance.
La Lotharingie tient une place importante dans ce renouveau des études. Avant de parler
des écoles il faut rappeler les conditions qui favorisent les centres culturels.2
D'abord je n'y insisterai pas beaucoup car mon collègue Erkens en a parlé, c'est le succès
de la réforme monastique entreprise par les grands évêques lorrains et appuyée par les
empereurs. Metz a eu la chance d'avoir des évêques actifs après Adalbéron 1er restaurateur
de Gorze. Mais cette ville n'est pas la seule, il en est de même pour Verdun, Tout, Liège.
Ces évêques ont su attirer des moines et des clercs instruits en particulier les Irlandais. Adal¬
béron 1er avait confié à Kadroe la réforme de Saint-Clément et de Saint-Félix. Son succes¬
seur Thiérry 1er (964-984) „vénérait Kadroe comme son père", il fait venir Forannus, abbé
de Waulsort. Après la mort de Kadroe, Fingen, autre Irlandais, est abbé de Saint-Clément.
Constantin, le biographe d'Adalbéron II, dit que „les Scotti, les autres peregrini, sont chers à
l'évêque".
Fingen est appelé à Saint-Vanne de Verdun par l'évêque Haymon (988-1024). Mais la Vie
de Richard de Saint-Vanne est sévère pour ces Irlandais, ne serait-ce que pour mettre en
valeur le réformateur lorrain. A Toul, Gérard, évêque entre 963 et 994, rencontre régulière¬
ment des Scots et des Grecs qui adressent des prières à Dieu à la manière de leur pays. A
Cologne au temps de l'archevêque Brunon, vivait le Scot Israël dont Edouard Janeau a étu¬
dié l'oeuvre. Les Irlandais restèrent dans cette métropole si bien que l'archevêque Everger
(985-999) en installa à Saint-Martin. En 1004, un certain Helias est abbé de Saint-Martin et
de Saint-Pantaléon.
Adalbéron II, Thierry, Haymon de Verdun, Everger de Cologne sont des noms que nous
trouvons parmi les correspondants d'un homme qui n'est pas un Lorrain mais un Aquitain
venu s'installer à Reims et qui était en étroite relation avec les lettrés de Lotharingie. Il
1 P. Riché, Quelques reflexions sur un nouveau "Grand siecle" dans Xe siecle, Recherches nouvelles
Cahier VI du Centre de recherches sur l'Antiquité tardive et le Haut Moyen Age, Université de Paris-X-
Nanterre 1987, p. 5-8.
2 P. Riché, Education et culture autour de l'an mil. La place de la Lotharingie dans Religion et culture
autour de l'an mil. Royaume capétien et Lotharingie, Paris 1990, p. 279-285.
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