La famille de Wendel résume le mieux cette orientation amorcée par Jean-Martin
(1665—1737) qui restaura et agrandit les forges de Hayange, achetées en 1704, et sut
introduire ses enfants dans les familles de manieurs de fonds provinciaux. Grâce à
elles, son fils Charles (1708—1784) étend ses activités à la Lorraine orientale (four¬
neau de Creutzwald ; forges de Sainte-Fontaine, près de Freyming, et de Hombourg-
Haut) entre 1749 et 1758 — lorsqu’il faut reconstituer les matériels après la guerre de
Succession d’Autriche et répondre aux commandes nées du conflit ouvert en 1756 —
et s’intégre aux réseaux d’affaires qui partent du Secrétariat d’Etat à la Guerre ou y
aboutissent et que coordonnent les Thomas de Pange — presque des voisins —, tréso¬
riers généraux de l’Extraordinaire de 1742 à 1778. Maître d’ateliers où l’on coule et
prépare tous les instruments meurtriers propres à l’artillerie, à l’exception des canons
et des fusils, copropriétaire de surcroît de la manufacture d’armes de Charleville
(1775), il a amorcé une des mutations industrielles de la Lorraine, s’est rendu indis¬
pensable à la monarchie (mauvaise payeuse d’ailleurs) et a donné à sa famille une
envergure « nationale » comme le confirme son fils Ignace (1741—1795), mêlé à
toutes les grandes entreprises sidérurgiques et capitalistes des années « 80 »106.
Deux faits illustrent la réussite politique et industrielle de celle-ci. Alors que se pré¬
cise, pour améliorer la sécurité de Landau, le principe de l’échange des bailliages bi-
pontins du Rhin contre le bailliage franco-lorrain du Schaumbourg, elle n’hésite pas à
user de toutes ses relations pour y conserver le droit d’en extraire le minerai de fer
nécessaire aux fourneaux du Warndt, sinon cela porterait préjudice à l’artillerie107.
Requête entendue. Par contre, en 1789, les villages riverains de la Fensch en dénon¬
cent fortement la pollution, accrue depuis que Mr Wendel a imaginé d’y laver la mine
sous prétexte que travaillant pour le roi, il était autorisé à faire usage du ruisseau
comme il l’entendait Et de réclamer la construction, à ses frais, d’un bassin de décan¬
tation ... alors que les Hayangeois souhaiteraient, pour mieux continuer à servir le
roi, bénéficier des affectations de bois réservées à Moyeuvre108. Effets contrastés du
« boom » provoqué par les grosses commandes de la marine royale depuis 1779.
Pour diversifiée qu’elle fut, la symbiose économique entre civils et militaires dépen¬
dait cependant de l’évolution économique générale. La sédentarisation de garnisons de
plus en plus nombreuses s’effectua, pour l’essentiel, en période de reconstruction agri¬
cole et leur entretien se fit, en grande partie, par des prélèvements sur les ressources de
la Lorraine, stricto sensu, ce qui soulageait d’autant les Evéchés. Coïncidant avec les
premières poussées de l’essor démographique, les fréquentes absences d’une partie
des garnisons, de 1741 à 1763, en atténuèrent quelque peu les effets sur le marché des
subsistances et masquèrent même les faiblesses certaines de l’agriculture lorraine, révé¬
lées par l’enquête de 1761, et encore compensées, un moment, par le jeu du commerce
106 René Sédillot, La maison de Wendel de 1704 à nos jours, Paris, 1958, p. 27—108 et
Denise Ozanam, Claude Baudard de Sainte-James, trésorier général de la Marine et bras¬
seur d’affaires (1738—1787), Paris-Genève, 1969, 214 p. (Nombreuses références aux de
Wendel et à leurs alliés, les Palteau de Veymerange). Pierre Léon, La Lorraine et les muta¬
tions de la France industrielle au XVIIIe siècle dans La Lorraine dans l’Europe des Lumières,
Nancy, 1968, p. 105—125.
107 AE MD France 1658, Guerre à Affaires Etrangères, 28 octobre 1785. Ce droit fut maintenu,
l’échange ayant été souscrit à terme.
108 Cahiers de doléances du bailliage de Thionville (éd.citée), communautés de Daspich et Eban-
ge, Florange, Sérémange et Suzange, Flayange.
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