garnisons. Le stationnement de très nombreux escadrons avait, indirectement, favorisé
cette orientation. Il assurait, en effet, un débouché régulier et rémunérateur aux pro¬
ducteurs de fourrages des vallées de la Meuse, de la Seille, des deux Nied, de la Sarre
et les encourageait à en maintenir, voire à en étendre les superficies au détriment des
emblavures, malgré les fortes sollicitations de la pression démographique au milieu du
siècle. Cette spécialisation fourragère au bénéfice de la cavalerie détermine, en 1766,
le secrétariat à la Guerre à promouvoir en Lorraine et dans les Evêchés l’élevage che¬
valin autant pour le service des remontes que les besoins de l’agriculture. Imposées à
cet effet, les deux provinces entretiennent trois haras (Metz; Rosières, Sarralbe) aux
résultats incertains et contestés103. La spéculation commerciale vicia vite l’entreprise,
incapable de satisfaire des objectifs contradictoires dans leurs rythmes de réalisation
mêmes.
Plus évidente est l’influence des garnisons sur l’évolution de la métallurgie évêchoise
ou sous contrôle évêchois. Sans forcer les choses, remarquons tout de même la présen¬
ce, à proximité de chaque place frontalière, d’un ou deux couples de fourneaux/for¬
ges : Herserange près de Longwy, Ottange près de Thionville, Dilling près de Sarre-
louis, Baerenthal et Mouterhouse près de Bitche ... Il s’agit presque toujours de sites
anciens, réunissant les aptitudes (naturelles) requises et ayant produit, par éclipses, des
biens à usage surtout civil : ustensiles culinaires, outillage agricole et forestier, fers de
maréchalerie et de construction. Mais le renforcement ou l’implantation d’un
couple forteresse/garnison n’aurait-t-il joué aucun rôle dans leur restauration ou la
mise en valeur de sites nouveaux? Il assure un débouché immédiat et massif à leur
production « civile », alors que ceux-ci garantissent son autonomie. Leur fonction
n’est-elle pas aussi de les « dépanner », le cas échéant, par quelque fourniture de
munitions?
Des quelque cinquante « centres » lorrains et évêchois qui fournissent, en 1788,
environ 10 et 14 % de la production française de fonte et de fer forgé, certains durent
leur réputation uniquement à l’action d’hommes, très liés aux milieux militaires, qui
surent mettre à profit la longue conjoncture guerrière du milieu du siècle pour étendre
leur emprise hors des Evêchés et se spécialiser dans la production de matériels lourds :
affûts, caissons, bombes et boulets104. Faut-il rappeler, ici, le cas de Dilling et le rôle
de la famille Gouvy? La création de Sarrelouis ralluma aussitôt fourneau et forges à
Dilling que renforça bientôt le fourneau de Betting dans le bailliage du Schaumbourg.
Maire royal depuis vingt ans et fondateur, en 1753, de l’aciérie de Goffontaine dans le
comté de Nassau-Sarrebruck, Pierre-Joseph Gouvy (1714—1768) acquit en 1765,
avec le marchand Mathias Soller, cette belle unité de production lorraine pour mieux
en orienter l’emploi. Leurs fils respectifs en firent un « complexe » au service de la
marine de guerre française et dont la modernité frappa le baron Philippe-Frédéric de
Dietrich105.
103 AG MR 1006, p. 135—148, rapport sur les haras des Evêchés, 1771 et Maurice Lacoste,
La crise agricole dans le département de la Meurthe à la fin de l’Ancien Régime et au début
de la Révolution, thèse Lettres Nancy, 1951, t. II, p. 528—532 (dactylographié).
104Hubert et Georges Bourgin, L’industrie sidérurgique en France au début de la Révolution,
Paris, Imprimerie Nationale, 1920, 557 p. et Georges Hottenger, L’ancienne industrie du
fer en Lorraine, Nancy, 1927, 207 p.
105 Voir la récente étude de W. Petto, Gouvy, Bild einer französischen Industriellenfamilie an
der Saar dans Zeitschrift für die Geschichte des Saargegend, t. XXVII, 1979, p. 31—81.
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