tabac tirait sa prospérité de l’abondance des fumiers de cavalerie qui, ici comme ail¬
leurs, favorisa en outre le développement de banlieues maraîchères si caractéristiques
des villes de garnison88.
Mais l’armée sait aussi reprendre ce qu’elle donne. En vertu du principe que « toute
fortification appartenant au roi, les revenus des herbes (des chemins couverts, des
fossés, des glacis) appartiennent à l’Etat-Major », celui-ci dispose ainsi d’un véritable
« communal privé », souvent distrait de l’ancien au préjudice de la communauté des
ayant-droit, dont la location à des corps (bouchers) ou à des particuliers bien intro¬
duits lui rapportait plus que de l’argent de poche et ... aggravait les coûts de produc¬
tion des bêtes de boucherie. Elle procure aux huit officiers de l’Etat-Major de Metz
5 891 I.t. en 1750, 6 125 en 1766, sans compter une quote-part de 2 400 l.t. sur la
vente des fumiers de cavalerie89. Contesté par les anciens propriétaires des terrains que
le non-paiement des indemnités d’expropriation transforme en locataires processifs, ce
« droit « encourageait tous les empiétements. Aussi les évêques successifs de Verdun
doivent-ils, tous, longuement argumenter pour conserver la jouissance du Pré-1’Evê¬
que, non embastionné mais inclus dans « l’inondation » de la place90. A Metz, on
découvre en 1790 que l’Etat-Major était, sans convention expresse, entré en jouis¬
sance peu à peu de toutes les portions de terrains municipaux jouxtant les fortifica¬
tions (jardins près des magasins à poudre ou à planches ; lavoirs le long de la Moselle)
et en tirait près de 6 000 l.t. de loyer au détriment des finances de la ville91.
Détenteur d’espaces productifs et maître des prix de location, l’Etat-Major d’une
place est donc un des partenaires de l’économie urbaine. Faute de contre-poids, celui
de Sarrelouis y intervient encore plus nettement. Jusqu’en 1750, la ville ne possède
même pas la banalité des moulins qui assurent son pain quotidien. Elle appartient au
gouverneur puis au lieutenant de roi qui en font une source de profit et y annexent le
droit de taxer les bateaux passant par la Sarre. En l’acquérant pour l’affermer, la ville
peut enfin remédier à l’indigence de ses finances mais son commerce reste tributaire
des péages militaires jusqu’à la Révolution92.
Parallèlement, l’essor des garnisons n’est pas sans effet sur la structure profession¬
nelle des villes d’accueil. Il encourage, bien au-delà des besoins des populations civiles,
la multiplication des aubergistes, cabaretiers — d’anciens militaires souvent —, des
perruquiers et rôtisseurs, dont le nombre et l’activité fluctuent au gré de leurs effectifs.
88 Comme l’illustrent les plans de Sarrelouis n°® 136 (1712) et 145 (1753), Saarlouis
1680—1980, Katalog ..., p. 80 et H. T. Il est d’ailleurs curieux de constater que l’offensive
de la Ferme Générale coïncide avec la réduction des effectifs de cavalerie dans ces quatre villes.
89 AD Moselle C 12/20. Formant masse à partir de 1766, le produit des herbes est subdivisé en
onze parts de 556 l.t. 16 sols, dont quatre reviennent au lieutenant de roi, deux au major, une
à chacun des quatre aide-majors, une demie à chacun des deux sous-aide-majors.
90 AD Moselle C 20/18, mémoire historique du 12 mars 1768.
91 AM Metz 4 N 5, rapport concernant les loyers que l’Etat-Major perçoit des jardins dont le
terrain paraît appartenir à la ville, 20 janvier 1790.
92 AD Moselle 7 J 42 et 46, C 11/42. Le chevalier Dulac, lieutenant de roi, obtient même, le
4 octobre 1740, un brevet l’autorisant à construire deux moulins sur bateaux à deux meules
chacun et à les exploiter pendant vingt ans. Son départ en février 1749 permet à la ville d’ac¬
quérir la banalité (24 novembre 1750) en rachetant pour 8 000 l.t. les dix années de privilège
restantes (24 janvier 1751) puis de ¡’affermer tous les neuf ans pour 4 000 l.t. par an environ,
ce qui accroît de 40 % les recettes de la ville. Celle-ci dénonce encore ces péages « abusifs » en
1788, AM Saarlouis K 30 II-9.
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