types de fournitures, les Evêchés disposent, en 1772, d’un crédit de 533 000 ht., « ma¬
telas » essentiel à la régulation d’une partie de l’économie provinciale75. Aussi la fail¬
lite d’un entrepreneur révèle-t-elle, outre l’ampleur véritable de ces marchés militaires,
à quel point celle-là en était tributaire76.
Les Evêchois veillèrent donc à conserver l’exclusivité de tous ces marchés emboîtés.
L’institution des ouvriers régimentaires provoqua une vive protestation des cordon¬
niers verdunois en avril 1763, alors que le parlement de Metz adressait des remon¬
trances pour que le roi traite de préférence avec des gens du pays pour les fournitures
militaires et non avec des entrepreneurs généraux qui font un profit illicite sur les
sous-traites. Les réponses de Versailles sont mitigées. Si la fourniture des hôpitaux et
des régiments de cavalerie en fourrages peut revenir à des particuliers, celle des Etapes
et du pain de munition ne peut être confiée qu’à une compagnie générale, riche et
expérimentée. Si l’ordonnance du 25 juin 1750 défend au soldat de travailler en ville,
sinon chez un maître établi, elle n’interdit pas le travail en caserne77. Episode révéla¬
teur ! Débarrassés de la concurrence laborieuse des soldats et associés à de grandes
opérations logistiques pendant la guerre de Sept Ans, les artisans et les entrepreneurs
évêchois avaient travaillé, à des conditions lucratives, plus pour l’armée en général
que pour leurs garnisons, alors fort dégarnies. La paix de 1763 ramène celles-ci à
demeure mais le contexte s’est modifié. Chacune des parties s’oppose à la réduction de
son champ d’activité. En contestant les ouvriers régimentaires, les premiers cherchent
à faire interdire le travail des soldats sous quelque forme qu’il s’exerce, alors que
ceux-ci dénoncent la multiplication des exercices militaires — autre initiative de Choi-
seul — qui les empêche, pour arrondir leurs soldes, de s’employer ... même chez des
maîtres établis78. Les seconds doivent désormais compter avec les grandes compagnies
qui ont pris pied, par leur intermédiaire, dans l’espace lorrain afin de ne pas en être
totalement évincés ni exclus des grands marchés « nationaux ». En 1761 déjà, Wendel
avait conservé de justesse le marché général du transport des munitions d’artillerie
grâce à l’intervention du maréchal d’Armentières auprès de Choiseul pour écarter le
candidat « parisien » que soutenait l’intendant des Evêchés. Et d’une façon générale,
les entrepreneurs locaux ne peuvent l’emporter, face au contrôle tatillon de Versailles,
que si le gouverneur des Evêchés engage son crédit en leur faveur79. Quant à l’hostilité
aux ouvriers régimentaires, elle alimente la revendication des gagne-petit jusqu’en
1789.
Ces aperçus rapides montrent à l’évidence l’impact des garnisons, dont le poids
s’accroît fortement de 1726 à 1750, sur l’économie des Evêchés, villes et plat-pays
confondus. Sarrelouis est le produit de sa garnison. Elle redonne vie à une région
meurtrie par la guerre de Trente Ans et en 1677—7880. Si la ville naît des dépouilles
75 AD Moselle C 833/8, Etat estimatif, 1772.
76 Comme celle de Nicolas Larive et Cie, successeur de son père Guillaume (adjudicataire des lits
militaires de Metz de 1728 à 1761), qui s’élève à 334 294 ht., le 22 décembre 1781. AM Metz
GG 271/21.
77 AD Moselle C 17/8 et 18/14, réponses de Choiseul au maréchal d’Armentières, commandant
dans les Evêchés, 14 septembre 1763 et 28 juin 1764.
78 A. Corvisier, thèse citée, t. II, p. 830,
79 AD Moselle C 15/14 (affaire de Wendel) et C 22 (fourniture de fourrages en 1770).
80 H.-W. Herrmann, Geschichtliche Landeskunde des Saariandes, Saarbrücken, 1977, Bd 2,
pp. 504, 508—510.
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