François-Yves Le Moigne
Le rôle économique des garnisons évêchoises au XVIIIe siècle
d’après les exemples de Metz, Sarrelouis et Verdun
Sujet bien téméraire, pour trois raisons au moins.
Comment isoler a priori ce rôle particulier des garnisons — soit les diverses troupes
casernées en permanence dans une ville donnée — de l’impact économique des places
fortes en général, car celles-là ne sont-elles pas largement filles de celles-ci? Mais c’est
poser le problème en termes trop simples. Malgré la généralisation du casernement au
cours du XVIIIe siècle, le logement chez l’habitant n’en subiste pas moins dans certai¬
nes places fortes et nombre de petites villes, aux murailles bien délabrées, voient reve¬
nir d’année en année, à l’égal des villages environnants, les garnisons temporaires des
quartiers d’hiver. Comment évaluer, en définitive, les effets économiques réels de ces
diverses formes de cohabitation, du simple cantonnement d’une centaine d’hommes
tous les six mois à la présence permanente de milliers d’autres ailleurs? Cohabitation
indéfiniment subie ou stimulante, à terme et à force d’adaptations de détail? Effets
régulateurs ou perturbateurs? Questions élémentaires auxquelles la relative fixité des
appréciations d’époque ne saurait apporter de réponses satisfaisantes, à moins de les
éclairer par une connaissance „exacte“ de la conjoncture du moment.
Par ailleurs, le vague de la formule „rôle économique“ peut encourager, au gré
d’une documentation foisonnante et fragmentaire, des errements que l’historiographie
actuelle, plus préoccupée des aspects sociaux qu’économiques de l’état militaire, ne
saurait endiguer1. Lorsque le gouverneur et le lieutenant de Roi de Tout exigent des
bouchers la livraison hebdomadaire de deux langues de boeuf à chacun d’eux2 ; lors¬
qu’un officier d’artillerie, en résidence à Metz, s’approprie et clôt un terrain municipal
proche du champ de tir pour y parquer ses propres bestiaux, l’économique n’est-il pas
sous-jacent à de telles exactions dont la répétition indispose les bourgeois3? Il est
apparent dans la reconduction des interdictions édictées aux boulangers, cabaretiers et
autres débitants de faire crédit aux gens de guerre et, à ceux-ci, de revendre une partie
de leurs allocations en sel et tabac4. Outre leur souci disciplinaire, ces mesures visent à
protéger des secteurs (marché du crédit, commerce „fiscalisé“) que menacerait l’exten¬
sion de pratiques marginales.
Sigles utilisés: Archives des Affaires étrangères (Paris): AE; correspondance politique (CP) ou
mémoires et documents (MD). Archives de la Guerre (Vincennes): AG, A1 (correspondance
générale) et MR (mémoires et reconnaissances). Bibliothèque nationale de Paris (BN), manuscrits
français et nouvelles acquisitions françaises (FR, NAF). Archives départementales ou municipa¬
les : AD ou AM. Bibliothèque municipale: BM.
1 Par exemple, André Corvisier, L’armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère de
Choiseul. Le soldat. Paris, P.U.F., 1964, 2 vol., 1086 p. et Armées et sociétés en Europe de
1494 à 1789, ibid., 1976, 222 p.
2 BN NAF 2599, P 8 v°-9 r°. De Cély, intendant des Evêchés à Conseil des Finances, 15 janvier
1718.
3 AG MR 1741/159. Plainte de la Ville, du 21 mai 1730. Il en tirait 50 chariots de foin et
50 livres tournois de regain par an, au détriment des usagers des communaux ...
4 BN NAF 22672, P 216 (ordonnance du 18 février 1730) et AD Moselle C 34, ordonnance du
20 avril 1734.
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