l’abstrait universel et le positif 67
elle est insaisissable à la pensée, ineffable, et elle échappe à
l’intuition : réalité dépourvue précisément de toute forme,
et par suite de toute lumière intellectuelle en qualité de
présupposé, pur et abstrait, du terme de la pensée.
Et le particulier, tout bien considéré, le pur particulier,
n'est même pas particulier : il n'est rien.
4. Critique du réalisme, — Le réalisme tombait dans le
défaut opposé, tant il est vrai que in vitium ducit culpae
juga si caret arte. Si l’universel est déjà réel au point que
le particulier ne puisse rien ajouter à cette réalité, en quoi
consistera l’individualité du particulier ? C’est tout sim¬
plement la grande difficulté de Platon renouvelée. Les
réalistes se trouvèrent en effet dans la position de ce philo¬
sophe, enfermé dans le cercle des idées, et ne pouvant
plus redescendre dans le monde pour l’explication duquel
les idées avaient été conçues et ordonnées.
5. Critique des théories éclectiques. — Les théories éclec¬
tiques ne purent pas davantage atteindre le but. Celle
d'Avicenne par exemple, qui fut reprise, amplement déve¬
loppée et divulguée par saint Thomas d’Aquin, n’est
pas plus heureuse que le nominalisme ou le réalisme.
Ce philosophe, médecin arabe, admit avec les nomina¬
listes les universalia in re ; il en distingua les universalia
post rem, d'accord en cela avec les conceptualistes, puisque
l’homme les obtient par l’expérience sensible et forme ainsi
les concepts; il soutint enfin avec les réalistes la valeur des
universalia ante rem, pensées divines qui se réaliseront dans
le monde des individus naturels, mais sont déj à réelles en Dieu.
Cette solution du problème ne fait que réunir les thèses
contraires qu'elle voudrait concilier, parce que si les uni¬
versels post rem ne sont pas les universels in re, leur diffé¬
rence signifie précisément qu’en séparant les universels
des particuliers auxquels ils adhèrent, on leur ôte la réalité
qu’ils ne possèdent que du chef de leur adhésion à la particu¬
larité. Aussi le concept comporte-t-il une altération de l'ob¬
jet et un éloignement de l’être original des choses qu’on se
propose de connaître au moyen du concept. Les choses sont