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l’esprit, acte pur
l’a dit Platon, cette incorporation requiert l’intervention
de quelque chose qui soit la négation de l’idéal et n’ait
rien d’universel. Mais il est dès lors évident que le prin¬
cipe individualisant ne peut résider que dans la matière.
7. Tentative de saint Thomas d’Aquin. — Les philo¬
sophes scolastiques furent ainsi séparés en deux camps ;
les uns affirmant que le principium individui n’est autre
que la forme elle-même, les autres le voyant au contraire
dans la matière. Et quelque opposées que fussent leurs
conclusions, elles étaient aussi rationnelles les unes que les
autres, tandis que la doctrine de saint Thomas d’Aquin
l’était moins, au point de vue scolastique, parce que le noble
génie spéculatif de son auteur ne lui permettait pas de conti¬
nuer à considérer la matière abstraitement conçue, quomo-
dolihet accepta, mais lui substituait une matière ayant en
elle un principe de détermination, materia signata : matière
déjà empreinte d’un signum qui implique une certaine
proportionnalité avec la forme et, jusqu’à un certain point,
le principe de celle-ci.
Solution illogique du problème, mais qui a le mérite de
nier nettement que l’on puisse résoudre sans un changement
de termes la question de savoir si le principe individuali¬
sant réside dans la forme ou dans la matière. En effet, la doc¬
trine de saint Thomas ne résout pas le problème mais
elle en démontre l’absurdité ; absurdité commune du
reste à tous les problèmes qui admettent des solutions op¬
posées ou, comme le dirait Kant, donnent lieu à des anti¬
nomies (1).
8. Survivance de la recherche scolastique. — Il ne faudrait
pas croire qu’au déclin de la scolastique, lorsque l’autorité
d’Aristote fut ébranlée et que la philosophie moderne
se lança sur une voie nouvelle, le problème du principe
d’individualisation ait été abandonné. Nous avons déjà fait
allusion à la conception aristotélicienne qu’en eut Bruno
malgré son instinctive aspiration à l'unité. Et, comme lui,
(1) A propos des solutions médiévales de ce problème, voir l’ouvrage de
l’auteur : I problemi délia scolastica, Bari, Laterza, 1922, chap. IV., 2e édit.