l'esprit comme développement
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14. Origine du concept de progrès. — La philosophie
antique n’eut donc pas le moindre soupçon que la vie de
l’esprit humain, que l'histoire fût, quelque chose de sérieux
contribuant au processus de développement de la réalité
elle-même ; le moyen âge, dont la pensée n'était que le pro¬
longement de celle de l’antiquité, n’y pensa pas davantage.
Bacon, sur le seuil du monde moderne, parlera encore d’in-
stauratio ab imis en écartant le passé de la science comme
une fatigue inutile, et Descartes niera lui aussi toute valeur
à la tradition en concevant abstraitement la raison comme
une puissance de l’individu empirique, qui commence ou
recommence lui-même la recherche scientifique. Aussi
personne ne comprendra-t-il la conception hardie de
Giordano Bruno lorsqu’il écrira dans son ouvrage Cena delle
Ceneri (1584) que la nouvelle pensée scientifique peut et
doit s'affranchir de l'autorité d'Aristote, parce que s’il
est vrai qu’il faut se laisser guider par la sagesse des vieil¬
lards, il n’est pas exact de considérer les anciens comme
tels, les modernes étant les vrais vieillards en fait de pen¬
sée, puisqu'ils sont rendus plus sages par les expériences
et par les réflexions des siècles écoulés depuis les anciens,
qui sont effectivement la jeunesse de la pensée humaine.
Peut-être fut-il le premier à affirmer que l'intelligence a
un développement qui est la croissance de son pouvoir,
et par conséquent sa propre réalisation. Une telle affir¬
mation présageait et devançait la conception moderne,
complètement spiritualiste et chrétienne, de la valeur de
l’histoire (1).
15. Base du concept de processus. — Maintenant même
combien serons-nous à avoir saisi cette conception de
l’histoire, comprise comme le progrès et la réalisation
graduelle de l’humanité elle-même ? La conception dia¬
lectique de l’histoire n'est du reste possible qu’à la condition
de ne pas y voir un passé, mais un présent, et à condition
que l’historien ne se détache pas de sa matière,
(1) Comparer l’ouvrage de l’auteur, Veritas {ilia temporis, écrit en 1912, mai»
compris maintenant dans le volume Giordano Bruno e la Filosofia del Rinasci-
mento, 1920, Ed. Vallecchi, Florence.