46
l’esprit, acte pur
devenir. Sans doute, il niait la transcendance platonique,
affirmait que des formes idéales immanentes dans la matière
formaient la nature et concevait le monde comme une masse,
qu’un mouvement éternel anime afin de traduire en acte
la pensée étemelle. Cependant, pour lui aussi, la pensée
pose la nature comme son antécédent, comme réa¬
lité déjà réalisée, qui comme telle peut être définie et
idéalisée dans un système de concepts fixes et immuables.
La science ne fut naturellement pour lui que l’acte de l'in¬
telligence : adéquation statique de l’intelligence humaine
à l’intelligence divine, incarnée dans le monde matériel
en vertu de la finalité qui gouverne le mouvement. En sorte
que la nature aristotélicienne, comme celle de Platon, n’est
pas objet de la science en tant que nature ; et en tant qu'ob¬
jet de science elle n’est plus la nature, le mouvement, mais
exclusivement la forme : concept et système de concepts.
Le devenir aristotélicien n’est qu’une pure exigence, car
il n’est pas et ne peut pas être le devenir de la pensée : une
fois conçu, il n’est plus devenir, et en tant que devenir,
il ne peut être conçu.
13. Pourquoi les anciens ne comprirent pas l’histoire. —
L'antiquité ne comprit pas l'histoire, le progrès, réalité
qui se réalise grâce à un processus qui n’est pas une vaine
dispersion d'activité mais une création continuelle de la
réalité elle-même ou en un mot, son développement. Rien
de plus naturel du reste que cette incompréhension. La
philosophie antique, arrêtée au concept de la réalité comme
présupposé de la pensée, ne pouvait formuler le concept
de son développement. Non seulement la nature de Platon
et d’Aristote a derrière elle la perfection de l’être qui de¬
vrait se réaliser en elle, mais, selon eux, le penser de
l’homme présuppose la réalité de son propre idéal ; il
pourra sans doute y retourner mais en est actuellement
éloigné. Une lumière y brille à l'origine qui devrait être le
but des efforts humains : l’âge de l’or, la <jri<rtç (oppo¬
sée au vdjxos) des sophistes, des cyniques et des stoïques,
qui est dans le passé comme le monde idéal, antérieur
à la vie corporelle, de l’idéalisme platonicien.