CHAPITRE XVIII
Idéalisme ou Mysticisme ?
i. Analogie entre Vidéalisme actuel et le mysticisme. —
Une conception qui, comme la nôtre, résout le monde dans
l’acte spirituel ou acte du penser, en unifiant l’infinie
variété naturelle et humaine dans une unité absolue au
sein de laquelle l’humain est divin, et le divin est humain,
peut apparaître mystique, et a effectivement été qualifiée
de mystique. Elle se rencontre en effet avec le mysticisme
lorsqu'elle affirme que tout est un, et que connaître signifie
atteindre cet un à travers toutes les distinctions.
Or le mysticisme a sans doute un très grand mérite,
mais il a aussi un défaut qui n’est pas moindre. Son
mérite est la plénitude, l’énergie vraiment intrépide de sa
conception de la réalité qui, selon lui, ne peut être conçue
que comme une réalité absolue ou, comme on le dit ordi¬
nairement, ne peut être réalité véritable qu'en Dieu.
Et ce vif sentiment, ce contact intrinsèque, ce goût du divin,
(i) Pour mon ami Benedetto Croce, le mysticisme est une philosophie qui
« après avoir aboli toutes les distinctions fallacieuses admises généralement »
n’assigne à l’histoire « en tant qu’acte du penser, que la conscience immédiate
du particulier-universel », et il ajoute que, dans cette conscience, toutes les dis¬
tinctions se confondent et se perdent, Un tel mysticisme est « parfait pour se sen¬
tir uni à Dieu, mais inapte à penser le monde et à y agir. » (Théorie, p. 103.).
Ce jugement est exact, mais ne saurait s’appliquer à notre idéalisme que l’on
peut bien définir comme la conscience, mais non comme la conscience immé¬
diate — nous l’avons montré — du particulier universel, car Croce lui même a
noté que le mysticisme dont il parle ne pourrait jamais être historique ni admettre
la conscience de la diversité entre « changer» et «devenir». En effet : ou bien cette
« conscience de la diversité » provient de l’élément individuel et intuitif, et dans
ce cas l’on ne comprend pas comment un tel élément pourrait subsister avec
sa forme propre d’intuition dans la pensée qui universalise sans cesse ; ou bien
cette conscience se pose comme le résultat de l’acte même du penser, et dans
ce cas la distinction que l’on croyait abolie se réaffermit au contraire, et la sim¬
plicité indistincte du penser que l’on alléguait demeure ébranlée. Pour peu que