ÉPILOGUE ET COROLLAIRES
237
10. Le temps et l’esprit. — La nature et l’histoire coïn¬
cident donc dans le caractère de la spatialité. Et celle-ci
les soustrait l’une et l’autre, sinon à l’esprit génériquement
conçu, du moins à l’esprit tel qu’il doit être conçu en tant
que forme concrète et réelle du Moi actuel.
En effet, si avec Kant nous faisons de cette forme de spa¬
tialité qu’est le temps, la forme du sens intérieur, en y
situant les faits spirituels, nous cessons de voir la spiritua¬
lité de ces derniers, spiritualité en raison de laquelle ils ne
devraient pas être des faits, mais l’acte spirituel. Lorsque
nous nous assurons que la Critique de la raison pure fut
publiée en 1781, bien que Kant eût commencé à l’écrire
dès 1772, nous ne considérons pas cet ouvrage pour ce qu'il
est comme acte spirituel isolé, mais nous le mettons au même
plan qu’une quantité d'autres faits spirituels et naturels ;
tandis que pour connaître ce qu’il est en tant que pensée
de Kant, il nous faut le lire, le méditer sans tenir compte de
la date ou de l’époque, et faire de l'œuvre de Kant notre
penser actuel. Le temps est donc considéré par l’esprit
comme nature, et non comme esprit : comme multiplicité
de faits extérieurs les uns aux autres et par suite conce¬
vables selon le principe de causalité, non comme l’unité
vivante qu’est l’esprit immortel de l’historien.
11. Nature et histoire comme esprit. — Remontons,
au contraire, de la méditation du naturaliste égaré au
milieu de Ja multitude des faits, à celle du philosophe qui
reconnaît dans l’unité le centre de toute multiplicité :
nous verrons la spatialité, la multiplicité, la diversité de la
nature et de l’histoire, ainsi que leur autonomie vis-à-vis
de l’esprit, céder devant la réalité absolue de ce dernier.
Cette nature, cette histoire dont nous venons de parler
sont la nature et l’histoire abstraites, et comme telles inexis¬
tantes. Si l’altérité — caractère fondamental entre tous —
était en réalité aussi absolue qu’elle l’est en apparence,
l'histoire et la nature seraient absolument inconnais¬
sables; bien plus, il en résulterait l'impossibilité de l’esprit
qui, ayant devant lui quelque chose d’étranger, en serait
limité, et ne serait donc plus libre. Il ne serait plus esprit,