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L’ESPRIT, ACTE PUR
la sensation subjective de Démocrite et de Protagoras,
qui dissimulait à la pensée un chaos de matérialité brute
et impénétrable ; c’est la limite que Platon trouvait au seuil
de son être idéal, comme l’hémisphère de ténèbres qui
borne à l’horizon le ciel lumineux de la pensée, limite qui
semble à Hegel lui-même cadenasser la logique et devoir
être franchie par l’Idée, qui se fait pour cela nature et
descend dans l'espace et le temps, en brisant son unité
dans la multiplicité éparpillée des êtres qui sont tous des
particuliers. Considérez une telle nature : n’est-elle pas le
non-être de votre frémissement intérieur, de l’acte même
par lequel vous êtes vous à vos propres yeux ? Non pas
le non-être auquel une autre pensée pourrait s’arrêter, en
posant d’abord votre acte spirituel pour en faire ensuite
abstraction et le supprimer, mais le non-être inhérent à
votre acte même : ce qu’il faut bien que vous ne soyez
pas et que vous deveniez dans l'acte même par lequel vous
vous posez. Considérez de même n’importe quel objet
déterminé par votre penser : vous verrez qu’il n’est et ne
peut être que votre pensée déterminée, c’est-à-dire ce que
vous avez pensé et que vous recueillez dans votre cons¬
cience actuelle en qualité d’objet. Et quel est donc cet
objet si ce n’est la forme déterminée de votre non-être,
de ce moment idéal auquel vous devez vous opposer,
et que vous devez vous opposer, pour être vous-même une
réalité déterminée ?
18. L’étemel passé du présent éternel. — La nature a deux
aspects, comme l’esprit en a deux. Vue de l’extérieur, telle
que nous la contemplons devant nous, pur objet abstrait,
la nature est la limite de l’esprit qu’elle domine et qui par
suite ne peut même pas se voir lui-même intérieurement,
mais se conçoit mécaniquement dans l’espace, dans le temps,
sans liberté, sans valeur, mortel. Mais un autre aspect
de la nature est celui que nous découvrons lorsque, nous
éveillant du songe qu’est la philosophie usuelle, nous repre¬
nant et réaffirmant vigoureusement notre personnalité,
nous retrouvons dans notre esprit la nature elle-même
comme notre non-être, immanent à notre être qui est vie,