LA SCIENCE, LA VIE ET LA PHILOSOPHIE 20Ç
5. La science comme naturalisme. — Dire de la science
qu’elle est naturaliste ne signifie pas que toutes les sciences
n’aient pour objet que la nature. Il y a des sciences natu¬
relles comme il y a des sciences de l’esprit (que l’on appelle
sciences morales). Mais on discerne facilement que les
sciences morales elles-mêmes sont naturalistes par cela
que, n'atteignant ni l’universalité ni la systématicité de la
philosophie, elles ont un objet particulier, et présupposé
comme l’est un fait. Toutes les sciences morales ont ce carac¬
tère ; c'est pourquoi elles sont des sciences, et non pas la
philosophie. Elles se basent sur une intuition de la réalité,
à laquelle leur objet appartient : intuition identique à celle
que le naturaliste a de la nature. Par conséquent ces
sciences, dites morales, conçoivent la réalité comme natu¬
relle, positive, parce que non posée, mais présupposée par
l’esprit (dont la valeur leur est en conséquence inconce¬
vable), hors de l’ordre et de l’unité propres de l’esprit, et
éparpillée dans la multiplicité inorganique de ses éléments.
l%La philosophie de l’esprit elle-même cesserait d’être
une philosophie si elle se mettait à expliquer l’esprit comme
une réalité de fait, et dans son tout et dans les éléments
dont il apparaît être empiriquement constitué. C’est ainsi
que l’on appelle théorie générale du droit sort du cercle de la
philosophie du droit, parce qu’elle considère le droit comme
une simple phénoménologie complexe, composée des don¬
nées de l'expérience, par rapport à laquelle la science doit
se comporter de la même façon que toute science natu¬
relle se comporte vis à vis de la classe de phénomènes à
laquelle elle se rapporte et dont elle détermine les carac¬
tères généraux et les lois de fait (1). Aussi peut-on dire,
rigoureusement parlant, que l'objet des sciences est la
nature et celui de la philosophie l’esprit.
Il en est de même des sciences mathématiques ; quand
elles ont établi les postulats servant à constituer le monde
de la pure quantité, le mathématicien traite la réalité
qui est devenue pour lui son postulat de la même façon
dont le naturaliste traite la réalité naturelle. Ces sciences
(x) Voir l’ouvrage de G. Gentile Fondamenti délia Filosofia del diritto, Rome
1923, chapitre premier.
GENTILE
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