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l’esprit, acte pur
Io mi pensai. Ma non è cosa in terra
Che ti somigli ; e s’anco pari alcuna
Ti fosse al volto, agli atti, alla favella,
Saria, cosi conforme, assai men bella ;
ou bien le rêve enchanteur qu’il narre dans le Dialogo
di Torquato Tasso e del suo genio familiare (i), dépeignent
la situation de n’importe quel poète et de n’importe quel
artiste devant la femme qu’il aime, et, en général, devant
toutes les créatures de son imagination.
2. Vart et l'histoire. — C’est là encore la profonde vérité
de la critique intellectualiste de Manzoni dans son dis¬
cours Del romanzo storico e in genere dei componimenti
misti di storia e d’invenzione. Il y rejette avec raison toute
œuvre contenant un mélange d’histoire et d’invention,
parce que l’invention, c’est-à-dire la liberté créatrice
et subjective du poète, est l’essence même de la poésie, et
n’admet point les limites qu’on devrait lui imposer pour
l’adapter au positif de la réalité historique. Il a néanmoins
tort de vouloir en déduire le défaut esthétique de tout
roman historique, car le poète peut idéaliser l’histoire avec
autant de liberté que n’importe quelle matière abstraite
prise pour objet de sa contemplation artistique, comme il
l’a fait du reste lui-même dans son roman Les Fiancés.
En réalité, l’histoire, comme du reste tout sujet que l’art
prend pour matière, n’a pas du tout pour l'artiste qui s’en
inspire le même genre de valeur qu’elle peut avoir en dehors
de lui. La matière de l’art ne vaut, n’a de sens, n’est ce
(i) « Lequel des deux, demande au Tasse son Génie, estimes-tu le plus doux :
voir la femme aimée, ou penser à elle ? » Et le Tasse de répondre : « Je ne sais.
Mais il est certain que, présente, elle me semblait une femme, tandis que loin¬
taine elle me semblait, et me semble, une déesse. » « Ces déesses, réplique l’iro¬
nique Génie, sont si pleines d’attentions que, si on les approche, elles voilent à
l’instant leur divinité, détachent leurs rayons et les mettent en poche pour ne
pas éblouir le mortel qui s’avance. Et ce n’est pas leur faute : qu’y a-t-il en effet
dans le monde qui puisse avoir l’ombre ou la millième partie de la perfection que
vous croyez voir dans les femmes ? » Mieux vaut, mieux vaut mille fois voir en
rêve celle qu’on aime. J’ai même entendu parler d’un homme qui, lorsqu’il lui
est arrivé de voir en rêve son aimée, en fuit la présence durant la journée,sachant
bien qu’elle ne pourrait supporter la comparaison avec l’image que le sommeil
lui en a laissée, et que le vrai, en effaçant le rêve, le priverait du plaisir le plus
rare.