PREVISION ET LIBERTÉ 163
n’est effectivement pas pensée, comme séparée du fait
dont elle est la loi, et qu’elle contiendrait en elle-même lui
imposant une nécessité extrinsèque à son être propre.
L’empirisme n’est jamais parvenu à avoir clairement con¬
science de sa propre logique. Il a dit qu’elle se fondait sur
le postulat de l’uniformité de la nature, et Galilée — l’un des
observateurs les plus clairvoyants des fondements logiques
de la science empirique — disait de la nature qu’elle est
« inexorable, inaltérable, et indifférente à ce que ses rai¬
sons occultes ou le mode de ses opérations soient ou non
exposés à la connaissance des hommes ; et que pour ces
raisons elle ne transgresse jamais les termes des lois qui
lui sont imposées (i) ». Mais cette croyance, pour absolue
qu’elle fût, ne l’empêchait pas de combattre la prétendue
inaltérabilité des substances célestes qui, selon les Aristo¬
téliciens, échapperaient à l’alternative continuelle de géné¬
ration et corruption, propre aux choses naturelles qui cons¬
tituent l’objet de notre expérience sur la terre. Il remar¬
quait, avec son habituelle profondeur de pensée, que le
changement constitue la vie des corps et de l'âme, et que
si tout devenait inaltérable, nous devrions estimer« agréable
la rencontre d’une tête de Méduse, nous changeât-elle
en marbre ou en diamant (2) ».
Inaltérabilité et changement continuel, sans que la pre¬
mière contredise le second. La loi naturelle n'interdit pas le
changement — comme le pensa Platon, et après lui Aris¬
tote avec la conséquente immutabilité de ses deux, dont
les formes (idées et lois) devaient donner origine aux
formes de la nature terrestre — mais si elle n’interdit pas le
changement, elle en établit l’inaltérabilité, qui est un
fait et doit en cette qualité être inaltérable. Sans aucun
doute, le changement est un fait, puisque nous nous propo¬
sons de le connaître ; il existe donc déjà et ne se soucie
guère, selon l'expression de Galilée, que ses raisons d’être et
le mode selon lequel il s’effectue nous soient exposés ou
tenus cachés. C'est-à-dire qu’il est posé devant nous, mais
non par nous, et qu’il est parconséquent indépendant de nous.
(1) Lettre du 21 décembre 1613 au père B. Castelli.
(2) Galilée, Opere, édition nationale, t. V, p. 234, 235, 260 ;