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l’esprit, acte pur
comme chez Bacon on mathématisante comme chez les
deux premiers, mais toujours conçue selon la logique
empirique qui présuppose la réalité au penser, la posant
identique à soi dans une réalisation déjà parfaite. Cette
école nouvelle, convaincue de la liberté de l’esprit dans
ses manifestations variées, opposait au concept de la
réalité toujours identique à elle-même le concept d’une
réalité toujours différente d’elle-même, doctrine qui est
la base du contingentisme et a été célébrée comme une
vigoureuse revendication de liberté (i). Le contingentisme
est en effet une tentative de concevoir la liberté en niant
l’unité ou identité à laquelle aboutit l’empirisme méca¬
niste, sans abandonner toutefois le concept de réalité con¬
ditionnée, c’est-à-dire de la réalité multiple qui est empi¬
riquement donnée.
15. Le principe de la philosophie de la contingence. —
Pour bien indiquer le point de départ du contingentisme,
je citerai la première page de la thèse de Boutroux sur la
Contingence. Il écrit : « A quel signe reconnaît-on qu’une
chose est nécessaire ? Quel est le critérium de la nécessité ?
Si l’on essaye de définir le concept d’une nécessité ab¬
solue, on est conduit à en éliminer tout rapport subor¬
donnant l’existence d’une chose à celle d’une autre comme
à une condition. Dès lors, la nécessité absolue exclut toute
multiplicité synthétique, toute possibilité de choses ou
de lois, et il n’y a pas lieu de rechercher si la multiplicité
règne dans le monde donné, lequel est essentiellement une
multiplicité de choses dépendant plus ou moins les unes
des autres.
Le problème dont il s’agit est, en réalité, celui-ci : à
quel signe reconnaît-on la nécessité relative, c'est-à-dire
l’existence d’un rapport nécessaire entre deux choses ?
Le type le plus parfait de l’enchaînement nécessaire
est le syllogisme, dans lequel une proposition particulière
est montrée comme résultant d’une proposition générale,
(i) Indiquée tout d’abord par Lachelier, cette philosophie nouvelle ne trouva
sa formule définitive que dans la thèse d’Emile Boutroux «de la contingence des
lois de la nature » publiée en 1874 et plusieurs fois réimprimée à partir de 1895.