CAUSALITÉ, MÉCANISME ET CONTINGENCE I49
tout en n’en étant pas la condition suffisante. C’est pré¬
cisément pour cela que l’occasionnalisme peut conserver
une certaine valeur métaphysique et éviter de finir dans
l’empirisme. C’est-à-dire qu’en eux-mêmes l’occasion et
l’occasionné, opposés l’un à l’autre, ne sont qu’une simple
concomitance contingente, tout à fait différente de la
succession à laquelle l’empirisme réduit la causalité. Mais
l’occasion n’est l’occasion qu'autant qu’elle ne se consi¬
dère pas seulement en elle-même et opposée à son occa¬
sionné, mais en rapport avec Dieu, qui a fait d’un terme
l’occasion et de l’autre l’occasionné. Et dès que le système
occasion-Dieu-occasionné a été établi, le rapport entre les
deux termes extrêmes participe à la nécessité du rapport
véritable moteur est Dieu. Il faut citer ici le texte des réflexions exposées
par Geulincx dans sa Metaphysica (publiée en 1691), et dont l’importance
n’échappera à personne : « Sunt quidam modi cogitandi in me, qui a me non
dependent, quos ego ipse in me non excito ; excitantur igitur in me ab aliquo
alio (impossibile enim est ut a nihilo mihi obveniant). At alius, quicumque
sit, conscius esse debet hujus negotii; facit enim, et impossibile est ut is
faciat qui nescit quomodo fiat. Est hoc principium evidentissimnm per se,
sed per accidens et propter praejudicia mea et ante coeptas opiniones reddi¬
tum est nonnihil obscurius ; jamdudum enim persuasum habeo res aliquas,
quas brutas esse et omni cogitatione destitutas agnoscebam, aliquid operari
et agere. Existimavi verbi gratia ignem, quod ad eius praesentiam sensus in
me caloris produceretur, calefacere ; et hoc calefacere sic interpretabar, ac si
esset calorem facere. Similiter solem illuminare, juxta similem interpretatio¬
nem, lumen efficere ; lapides cadere, ut interpretabar, se ipsos praecipites
dare, et motum illum efficere quo deorsum ruant ; ignem tamen, solem, lapi¬
desque brutos esse, sine sensu, sine cognitione haec omnia operari existi¬
mabam. Sed cum intellectum intendo in evidentia hujus principii : Quod nes¬
cis quomodo fiat, id non ¡acis, non possum non ridere me falsum fuisse, et
mirari mihi subit, cum satis clare agnoscam me id non facere quod nescio
quomodo fiat, cur de aliis aliquibus rebus aliam persuasionem habeam. Et
qui mihi dico me calorem non facere, me lumen et motum in praeceps non
efficere, qui nescio quomodo fiant, cur non similiter igni, soli, lapidi, idem
illud improperem, cun persuasum habeo ea nescire quomodo effectus fiant,
et omni cognitione destitui ? » (Opera philosoph., édit. Land, II, 150). Où il
faut relever comment la négation de la causalité efficiente (operare et agere) se
rattache à l’opposition empirique du sujet à l’objet, qui est affirmée dans le
principe touché par Geulincx et qui a tant d’affinité avec celui de Vico verum
et factum convertuntur. Ce dernier se rattache à son tour, et fort étroitement, à
une théorie sceptique de la connaissance de la nature, analogue, comme je l’ai
dit, à celle de Hume. Le fait que l’occasionnalisme et l’harmonie préétablie
surgissent du besoin de maintenir l’unité du multiple est évident dans la
proposition suivante, qui est une des toutes premières allusions faites par Lei¬
bniz à cette doctrine {1677) dans une postille à une lettre d’Eckhard : Har¬
monia est unitas in multitudine ut si vibrationes duorum pendulorum inter se
ad quintum quem libet ictum consentiant (Philos. Schrift., édition Gerhardt,
t. I, p. 232). Quant à la genèse et aux précurseurs de l’occasionnalisme au
Moyen âge et durant l’antiquité, on peut consulter Zeller, Kl. Schriften, t.
I, p, 316 et les deux études de Stein dans les Arch., déjà citées, t. I,
p. 53 et t. II, p. 193.