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l’esprit, acte pur
de leur communauté origine (1). La cause occasionnelle
n'est au fond une cause qu’autant qu’elle est dépassée
pour parvenir à Dieu, en qui réside le principe véritable
de sa causalité, en conséquence du rapport qu’elle impli¬
que toutefois entre le mouvement et la sensation. Et quand
Leibniz étend l'occasionnalisme en l’approfondissant, il
fait de ce rapport anthropologique entre les deux substan¬
ces (physique et psychique), le type du rapport universel
de toutes les substances ou monades. De sorte que, dans le
système de l’harmonie préétablie, ce concept devient celui
de l’indépendance réciproque des monades dans leur com¬
mune dépendance de Dieu. Mais, à travers Dieu, la cause
occasionnelle conditionne nécessairement le conditionné,
(1) « Imaginez », dira Leibniz dans le Second éclaircissement du système de
la communion des ubstances (Opera, édition Erdmann, p. 133) «deux horloges
parfaitement d'accord entre elles. Or cela peut se produire de trois façons. La
première serait qu’elles s’influençassent réciproquement ; la deuxième, qu’un
habile artisan fût préposé à leur réglage ; la troisième, qu’elles eussent été fa¬
briquées avec tant d’art et de précision que leur accord à venir pût être garanti
par le fabricant. Substituez aux deux horloges l’âme et le corps : leur accord
pourra se produire aussi de trois façons analogues. La philosophie ordinaire
choisit la première ; mais comme il est impossible de soutenir que des par¬
celles de substances aillent de l’âme au corps et réciproquement, cette opi¬
nion est insoutenable. La deuxième — intervention continuelle du Créateur —
est celle des causes occasionnelles ; mais il me semble que ce soit là l’intervention
inutile d’un Deus ex machina dans une chose naturelle et ordinaire, où la raison
montre qu’il ne doit pas intervenir d’atitrc façon que dans toutes les autres
choses naturelles. Il ne reste donc que la troisième, qui est celle de l’harmonie, et
c’est elle que j’adopte. Dieu a donné à chacune de ces deux substances une nature
telle, que tout en ne suivant exclusivement que les lois qui lui ont été données
avec l’être, et qui par conséquent lui sont propres, elle s’accorde parfaitement
néanmoins avec l’autre. Aussi semble-t-il qu’il y ait entre elles une action réci¬
proque ou que Dieu intervienne continuellement en dehors de son influence
générale » (voir le Troisième éclaircissement et le Système nouveau, Erdm, p. 197).
L’exemple des deux horloges n’est du reste pas une invention de Leibniz : les
cartésiens l’avaient emplojœ comme un exemple d’école (voir Descartes
lui-même, Passions de l’âme, p. 1, 5, 6, et L. Stein, Arch. f. Gesch. d. Philos.,
t. I, p. 59). Il est à remarquer qu’on ne saurait trouver une profonde portée
spéculative à la distinction établie par Leibniz entre l’occasionnalisme et le
système de l’harmonie préétablie. Il est en effet fort aisé de s’apercevoir que le
fait de reporter l’œuvre de Dieu, disséminée à travers les différents moments du
processus de la réalité, à l’origine et de l’y concentrer, déplace effectivement, mais
sans les éliminer, la difficulté spéculative et le caractère miraculeux de l’inter¬
vention extrinsèque de Dieu, dont la causalité ne saurait faire défaut sans que
disparaisse aussitôt l'intelligibilité de l’harmonie, qui s’affirme déjà dans l’occa¬
sionnalisme et que Leibniz ne fait qu’étendre à son pluralisme. Geulincx aussi
Ethique, I, sect. II, 2), explique l’accord des deux substances, âme et corps,
comme celui des deux horloges : « Idque absque ulla causalitate, qua alterum
hoc in altero causai, sed propter meram dependentiam qua utrumque ab
eadem arte et simili industria constitutum est. » C’est pourquoi le corps ne
pense pas, et ne fait pas penser « haec nostra corpora non cogitant, licet
nobis occasionem praebeant cogitandi ». Non seulement les corps ne pensent
pas, mais ils n’opèrent pas, ils ne se meuvent pas d’eux-mêmes : car le seul