CAUSALITÉ, MÉCANISME ET CONTINGENCE 145
6. Causalité empirique et scepticisme. — De toute façon,
le passage de la condition nécessaire et suffisante à la con¬
dition simplement nécessaire introduit dans l’intuition
métaphysique, qui subsiste cependant dans le deuxième
cas, un élément empirique, la constatation de fait qui est
l’affirmation de simple contingence d’une donnée positive
de l'expérience. Mais il faut que la nécessité disparaisse
complètement pour que puisse s’établir dans toute la force
de sa logique la conception empirique qui n’admet aucune
identité dans la réalité, mais admet au contraire une
multiplicité absolue où l’unité de l’identique ne peut
être due qu’à une intrusion du sujet, parfaitement étran¬
ger selon l’empirisme à la réalité immédiate). Au concept
métaphysique de causalité se substitue alors le concept
empirique de causalité, tel qu’il apparaît nettement dans
la pensée de David Hume, mais il existait déjà vague¬
ment dans la doctrine sceptique de la connaissance de
la nature que Vico exposa dans son ouvrage De antiquis¬
sima Italorum sapientia (1).
La différence qui fait opposer en général la cause empi¬
rique à la cause métaphysique consiste en ce que cette der¬
nière est une cause efficiente, tandis que la première iésulte
simplement de la {2) succession de l’effet à la cause. Mais
l’efficience de la cause est une idée obscure qui, lorsqu’elle
est approfondie, se manifeste comme l’unité ou l’identité de
la cause et de l’effet. Une cause ne peut en effet être dite
efficiente que si elle est considérée comme condition néces¬
saire et suffisante, c’est-à-dire comme une réalité dont la
réalisation est la réalisation de la réalité qu’elle conditionne.
Car l’efficience de la causalité est un concept qui fait sortir
la réalité du conditionné du sein même de la réalité de sa
condition : ce qui revient à déclarer inconcevable le pro¬
cessus de la condition sinon comme aboutissant au condi¬
tionné. Il est évident que la causalité ne saurait être conçue
(1) Studi Vichiani, Messina, Principato, 1915, p. 101.
(a) On dit aussi « succession invariable ». Mais de deux choses Tune : ou l’in¬
variabilité est prise comme un fait (le non varier), et c’est un pléonasme, ou
elle est prise comme loi de succession, et dans ce cas ce qu’il y a d’empirique
dans la causalité empirique disparaît en ne laissant subsister que la succes¬
sion pure et simple.
GENTILE
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