l’immortalité
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14. Immortalité du Moi empirique. — A la vérité, le
cœur — puisque c’est par ce nom que nous avons coutume
de représenter les intérêts les plus intimes et les plus con¬
crets de l’individualité spirituelle — réclame l’immortalité
du Moi empirique, outre celle du Moi transcendantal. Il veut
l’immortalité de notre être individuel, tel qu’il est réalisé
dans le système de ses relations particulières appuyé à
la posivité concrète des individus de la nature. Mon immor¬
talité est l’immortalité de tout ce qui a pour moi une valeur
absolue ; par conséquent, si elle est mienne, elle est aussi
celle de mes fils et de mes parents, qui forment, complexi-
vement et avec moi, une multiplicité d’individus. Ce qui
signifie en somme que mon immortalité puise sa forme
concrète dans l’immortalité de la multiplicité.
Mais il faut considérer en premier lieu que du moment
que je reconnais au multiple la valeur qui me porte à en
affirmer l’immortalité, je ne suis plus un élément de la
multiplicité, mais l’unité, l’activité, essentiellement non-
multipliable, le principe même de la multiplicité en un
mot ; en second lieu que cette multiplicité, dont je tiens
nécessairement à affirmer l’immortalité, est la seule mul¬
tiplicité qui ait une valeur : une multiplicité qui ne peut
être extraite de l'activité qui la pose, et n’est absolument
pas abstraite comme le serait celle par laquelle mon fils et
moi sommes numériquement deux, et mes parents et moi
trois, mais se réalise nécessairement dans l’unité actuelle
de l’esprit.
Ainsi, dès que la multiplicité est fixée comme on la fixe
analytiquement, on sort du domaine de ce qui est éternel
pour se jeter dans le temps abstrait et absurde qui est une
multiplicité chaotique. Tandis que si l’esprit ne fixe pas la
multiplicité, mais vit d’elle, c’est-à-dire de sa position imma
nente, il n’abandonne jamais à elle-même la réalité em¬
pirique ; il l’accueille au contraire, la transforme en lui-
même, et l’éternise dans sa propre éternité.
L’éternité immanente dont il s’agit est par exemple
celle que, sans en avoir au préalable approfondi la
pensée spéculative, chacun de nous pressent et affirme
dans l’œuvre d’art, qui est vraiment immortelle si elle est