l'abstrait universel et le positif
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ment à l'étau de cette antinomie, en disant : Cogito ergo
sum. Dans ce cogito le particulier concret (ego cogitans) coïn¬
cide en effet avec l'universalité de la pensée. Mais cette
coïncidence n’a lieu chez Descartes qu’autant que la pensée
lui est propre, à lui sujet du verbe cogito, c’est-à-dire qu’au¬
tant que la réalité pensée est le penser lui-même. En consé¬
quence, nous voyons chez Descartes lui-même le penser se
détourner du sujet, qui se réalise dans sa propre pensée,
pour se porter vers la réalité posée en face du sujet en vertu
du penser : la coïncidence cesse, tandis que l'abîme entre
le particulier et l'universel s’ouvre de nouveau pour le plus
grand malheur de la philosophie, contrainte à reprendre
ses oscillations entre le monde, intelligible mais irréel, de
la rationalité métaphysique qui va de Descartes à Wolf,
et un monde réel et solide, mais inintelligible, obscurément
senti, brillant à travers de multiples impressions sensibles
et sans connections entre elles, qui sera la « nature » de
Bacon à Hobbs et à Hume.
Ainsi donc, ou bien métaphysique de fantômes, ou bien
prosternation de la raison devant la masse inconnue et
inconnaissable.
8. Mérite et erreur de Kant. — L'effort de Descartes
pour rendre l'universel immanent à l’individu, et rendre
par là ce dernier vraiment concevable fut repris par Kant
et avec une force beaucoup plus grande dans sa synthèse
a priori. Il y a lié l'intuition au concept par un rapport
dont tous les deux dépendent, et en dehors duquel aucun
des deux ne saurait exister. Seulement Kant à son tour
oppose au phénomène le noumène dans lequel se trouve la
véritable racine du particulier qui est l’objet de l’expé¬
rience, racine sans laquelle la pensée resterait enfermée
dans le cercle universel des formes pures qui sont pour
Kant ce que les universels étaient dans la scolastique.
Et lorsqu’après Kant le noumène est écarté et l’élément
ou moment individuel est cherché dans la pensée qui est
l’universel, la spéculation affirme que l’individu est incon¬
cevable en dehors de l’autocon science mais se trouve inca¬
pable de rendre intelligible l’autoconscience, dont elle