LA RÉALITÉ SPIRITUELLE
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avons reconstruite mentalement, vers quoi nous puissions
nous tourner pour constater si cette réalité lui est vraiment
conforme.
Quelle est donc la doctrine de Vico ? Elle enseigne que
nous ne pouvons connaître l'objet de notre connaissance que
si cet objet n’est rien d’immédiat, n'est rien que notre pen¬
ser trouve devant lui quand il s’y applique tout d’abord,
c’est-à-dire rien qui puisse être doué de réalité avant
d’être connu. L’expression « connaissance immédiate »
est une contradictio in adiecto. Un exemple le démontrera
facilement : si nous voulons savoir ce que c'est qu’une
langue, il sera bon de tenir compte de la distinction établie
par Guillaume Humboldt : la vraie langue n’est pas
epyov (opus) mais ivépyeia (opera) ; elle n'est pas le
résultat du processus linguistique mais le processus lui-
même, développement actuel. Nous ne saurons donc pas
ce qu'est une langue dans sa forme définitive, puisqu’elle
n’en a jamais, mais nous pourrons savoir ce qu’elle est
dans son développement concret. Or, il en est de toute
réalité spirituelle comme d’une langue ; pour la connaître
il nous faudra l’aborder, l’identifier avec notre activité
spirituelle, arriver ainsi peu à peu à identifier cette unité
du sujet et de l'objet, en quoi consiste la connaissance.
Détruire les degrés du développement équivaut à détruire
le développement lui-même, c’est-à-dire la réalité même
qu’il s'agit de réaliser et de comprendre.
Comprendre, c’est réaliser ; cela étant, nous pouvons
modifier la proposition de Vico et dire verum et fieri con¬
vertuntur au lieu de verum et factum. Puisque c’est la réa¬
lité spirituelle qui se réalise, ou se comprend en se réali¬
sant elle-même, elle n’est pas à proprement dire un factum
mais un fieri.