38
LES SEIGNEURS DE FREMERSDORF.
fants seuls avaient le secret et se tint toujours prête à fuir.
Plusieurs fois, la nuit, prévenue par des gens dévoués, elle
passa la Sarre avec ses six enfants pour éviter les sbires
de la Convention qui venaient avec l'intention de l’arrêter.
« La proximité de la frontière, la facilité qu’elle avait de
fuir au moyen d’un batelet toujours amarré au bas de son
verger, lui permettaient de revenir quand tout motif de
crainte sérieux était passé.
« Cependant le calme ne reparaissait pas au manoir, et
l’infortunée redoublait de vigilance et ne dormait plus
qu'avec une paire de pistolets armés à son chevet. Le soir
elle faisait avec un de ses enfants et un domestique l’in-
spection des portes,afin de s'assurer par elle-même que
tout était bien fermé. Une nuit, réveillée en sursaut, elle
entendit le grincement d’une fenêtre qui s’ouvrait ; avec
un courage que l'on ne saurait assez admirer elle se leva,
prit ses armes et demanda d’une voix forte ce qu’on lui
voulait. Ne recevant pas de réponse, elle s’avança le pis-
tolet au poing vers une personne qui venait à elle et jeta
un cri d'effroi en distinguant à peine sa fille Sophie en
proie à unaccès de somnambulisme. « Malheureuse enfant,
s'écria-t-elle, j'ai failli te tuer ! » Me de Galhau couchait
avec toutes ses filles dans une chambre à grande alcôve,
et n'avait pas entendu Sophie se lever à pas de loup et
gagner une fenêtre.
« Deux chagrins étaient venus se joindre à toutes ces
commotions, sans pouvoir ébranler l'énergie de cette
femme d’élite. Sa mère, qu’elle affectionnait tendrement,
était morte le 6 mars 1792, et son père, loin de pouvoir la
protéger, était tombé en enfance. Il venait néanmoins à
Fremersdorf, où son plus grand plaisir, en automne, était
d'emmener les enfants visiter les vergers, cueillir les
fruits et ramasser le bois mort.
« Ce fut ce vieillard infortuné qui fut la cause de l’arres-
tation de sa fille. Chargé par des amis de faire passer par