Pour l’époque carolingienne, on peut prendre appui sur l’exposé de Robert Folz, qui
tentait en 1966 une description de la puissance messine à l'époque de saint Chrode-
gang (742-766). On doit se souvenir d’abord que Metz a fait partie du royaume
d'Austrasie, dont elle fut même la capitale durant plusieurs décennies, au moins de
575 à 650. Cela signifie qu’elle était résidence royale et qu’elle fut naturellement
bénéficiaire des largesses des souverains. A cette époque. l’Austrasie s’étendait de la
Champagne à la Thuringe, de la basse vallée du Rhin au Jura, mais l’Austrasie avait
des prolongements en Aquitaine. Les églises de Lorraine ont ainsi pu disposer de
biens dans le Massif Central et dans la vallée du Rhône. Eugen Ewig s’est penché
longuement sur les conséquences qu’ont eues pour Metz, Toul et Verdun l’apparte¬
nance à l'Austrasie d’une partie de l’Aquitaine. Metz a eu sa part de biens lointains,
jusque et y compris le diocèse d’Arisitum, au bord des Cévennes. Tout cela lui a pro¬
gressivement échappé, mais pourquoi n’aurait-elle pas gardé elle aussi longtemps
quelques biens comme le fit sa voisine de Verdun qui comptabilisait encore au XIe
siècle Saint-Amand de Rodez dans le patrimoine de l’abbaye Saint-Vanne? Or de
tout cela on n'a plus de trace. Et déjà nous devons retenir que Metz a possédé parfois
pendant des décennies, voire des siècles, des territoires dont on n’a pas connaissance.
D'une façon générale, les plus anciennes possessions ont été acquises sans laisser de
traces dans les sources écrites. L’origine de quelques concessions nous est malgré tout
connue: Saint-Trond, ou plutôt le bien de Sarchinium où fut bâtie l’abbaye de Saint-
Trond. fut donnée à l’église de Metz par le noble Trudon qui avait reçu son éducation
sur les bords de la Moselle. Dugny et les agglomérations des alentours, au sud de
Verdun, sont venues à Metz par la même voie. Charlemagne donna à l’archevêque
Angelram et à l’église messine l’abbaye bavaroise de Chiemsee et l’abbaye vosgienne
de Senones. Au siècle suivant, Chiemsee fut échangée contre Luxeuil. Quand Luxeuil
fut-elle perdue? On l’ignore.
Revenons à Chrodegang. Il fonda Gorze vers 750, à tout le moins avant 757, établit
pour les moines la règle bénédictine et dota le monastère. On trouve dans le cartu-
laire écrit vers 1170 le détail de la dotation primitive de Gorze dans les deux premiè¬
res chartes donnée par le saint évêque. Malheureusement ces pièces sont des faux.
On y trouve trop soigneusement énumérées et classées des donations qui furent faites
en différents endroits de la Lorraine, jusqu’en Champagne et dans le Wormsgau; en
réalité la véritable charte de fondation ne comporte aucune mention de la dotation
primitive, ce qui est conforme aux pratiques de ce temps. Pourtant il est indubitable
que des dons furent faits, dont sans doute la trace écrite s’était gardée. Il faut alors
admettre que, plus tard, on les a regroupées, toutes ou quelques-unes, dans ces
chartes qui furent mises sous le nom de Chrodegang. Si ces donations furent réelles,
on ne peut dire en revanche que l’évêque-archevêque de Metz en fut l’auteur. Or
c’est en se fiant à ces chartes fausses qu’on en vient volontiers à croire que Chrode¬
gang a donné à son église son patrimoine familial du Wormsgau, d’où il était très
sûrement originaire, et on lui attribue aussi du même coup la possession des biens
champenois de Gorze. Un tel raisonnement est fondé sur la tradition qui veut que
bien des évêques aient abandonné leur patrimoine à leurs églises et aient ainsi contri¬
bué à constituer le temporel des évêchés. La générosité des rois aurait fait le reste, les
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