Alsace12. Bouquenom apparut dans les années 1660 comme le point êxtreme de ce
rayonnement, une sorte de poste avancé de Molsheim où des Jésuites venus de la
«maison-mère» et formés en son sein appliquaient les méthodes missionnaires aux¬
quelles ils avaient été formés dans un pays où luthériens et catholiques se côtoyaient.
A partir de 1680, la politique des «réunions» qui, pour Louis XIV, prenait souvent les
caractères d'une reconquête catholique donna aux Jésuites de Bouquenom comme à
ceux d’Alsace un nouveau champ d'action où la politique se mêla souvent étroite¬
ment à la religion13. Ce fut, en effet, en 1680, que Mgr. d’Aubusson de la Feuillade,
évêque de Metz, entreprit la visite pastorale des pays de la Sarre accompagné de six
Jésuites du collège de Metz14. Ceux-ci prêchèrent et engagèrent à la conversion les
habitants des petites villes et des places fortes. Ils furent rejoints dans le comté de
Sarrewerden par leurs confrères de Bouquenom qui prolongèrent leur action et pri¬
rent dans les églises la place des pasteurs expulsés. Il semble bien que, dès cette épo¬
que, le recours aux troupes, nombreuses dans ces régions de la frontière, ait été utilisé
par les autorités civiles pour contraindre les populations à l’abjuration. Le grand
prévôt Simon s’illustra en ce domaine, sans doute avec le plein accord du parlement
de Metz15. Ici ou là, ainsi autour de Lixheim, des mouvements de troupes poussèrent
une partie de la population terrorisée à l’abjuration. Vers 1683-1684 ces actions par¬
allèles des religieux et des soldats furent plus nombreuses. Aussi est-on en droit de se
demander si en Alsace et en Lorraine orientale, régions pourtant non concernées par
l'édit de Nantes et dont la situation confessionnelle se trouvait théoriquement garan¬
tie par les traités de Westphalie, n’apparurent pas les premiers signes d’un processus
qui devait conduire à l’édit de Révocation et à ses suites tragiques16. Ces missions
accompagnées de mesures de contrainte provoquèrent fort peu de conversions dura¬
bles dans les populations protestantes. Mais, elles eurent des effets sur les quelques
catholiques qui se trouvaient isolés en pays luthérien ou calviniste. Ceux-là sou¬
haitèrent désormais pratiquer publiquement et régulièrement leur religion et ils y
furent encouragés par les Jésuites qui étaient venus desservir leurs églises depuis
1680. C’est pourquoi le traité de Ryswick (1697), en son article IV, stipulait que dans
les villages et les villes restitués à des princes protestants, les catholiques devaient
être maintenus dans le libre exercice de leur religion. Plusieurs villages de la région
étudiée se trouvaient dans ce cas17.
12 Louis Châtellier, Tradition chrétienne et renouveau catholique dans le cadre de l’ancien
diocèse de Strasbourg (1650-1770), Paris, Ophrys, 1981, p. 160-171.
13 idem, p. 206-341.
14 Abbé Jacques Choux, Journal de la visite pastorale de Georges d’Aubusson, évêque de
Metz, dans l’archidiaconé de Sarrebourg en 1680, Le Pays lorrain, 1980, n° 1, p. 13-34.
15 Jacques-Henri Heck, La révocation de l’édit de Nantes à Lixheim, Les Cahiers lorrains,
n° 1/1984. p. 57-66.
16 Louis Châtellier, Les catholiques rhénans et la révocation de l’Edit de Nantes, Bulletin
de la Société de l'Histoire du Protestantisme français, T. CXXXII, n° 2/1986, p. 239-255.
17 Henri Vast, Les grands traités du règne de Louis XIV, t. II (1668-1697). Collection de tex¬
tes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’Histoire, vol. 23, Paris, 1898, p. 232.
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