b. La cohérence humaine: des hommes
Plus que la mention des royaumes, celle des évêchés, des abbayes, des comtés mettait en
avant la notion des hommes, des fidèles des souverains, de ses fonctionnaires, de ses
agents, de ceux sur lesquels reposait l'efficacité de son pouvoir. Il fallait après avoir défini
un espace donner corps à l'aristocratie incluse dans cet espace.
Comme on vient de le voir, la cohérence géographique du royaume de Lothaire n'existait
que par les deux fleuves qui l'entouraient. Il n'y avait donc ni congruentia, c'est-à-dire pas
de cohérence physique, ni affinitas, pas d'unité humaine, sauf dans le souvenir lointain de
l'antique Austrasie. L'unité humaine était à créer et elle relevait des souverains. Le souverain
devait rassembler autour de lui un ensemble aristocratique triple,
- les princes ecclésiastiques, évêques et abbés,
- les princes laïcs, c'est-à-dire les comtes,
- les grands de l'aristocratie locale.
1) Lothaire 1er et ses successeurs s'en préoccupèrent intensément comme le faisait chaque
souverain carolingien dans son domaine. Cela est particulièrement net en ce qui concerne
les évêques, car même si on retenait le principe de l'élection par le clergé et le peuple, on
savait que cette liberté d'élection se manifestait dans le cadre du contrôle exercé par le sou¬
verain. En fait il y avait désignation ou reconnaissance. Le souverain devait se constituer un
corps de prélats qui lui seraient acquis.
Le royaume de Lothaire rassemblait dix prélats, deux archevêques à Cologne et à Trêves et
huit évêques. Chaque élection fournissant l'occasion de confier la fonction à un fidèle
éprouvé, peu à peu l'église se resserrait autour de son roi.
L'évêque de Metz Drogon joua le premier ce rôle, car il passa directement de l'entourage
de Louis le Pieux à celui de Lothaire. Les autres sièges épiscopaux furent pourvus peu à peu
de fidèles, comme on le vit avec le choix d'Advence19 successeur de Drogon, choix qui fut
fait avec l'accord de Charles le Chauve. Les évêques déjà en place se groupèrent autour de
leur souverain, c'était dans leur intérêt. On ne sait pas souvent dans quelles conditions
furent choisis les successeurs de Francon à Liège, d'Odilbald à Utrecht, de jean à Cambrai,
d'Hatton à Verdun, d'Arnoul à Toul, mais la question des sièges archiépiscopaux de Trêves
et de Cologne fut très vive à la mort de Lothaire II. Louis le Germanique réussit à évincer le
candidat de Charles à Cologne et à imposer le sien.20
L'attribution des grandes abbayes se faisait en relations avec celle des évêchés et des com¬
tés. Beaucoup d'évêques gardaient en mains les plus riches monastères de leur diocèse:
Drogon par exemple tenait en même temps Gorze et Saint-Arnoul à Metz, Marmoutier et
Neuviller en Alsace, Luxeuil au sud et Saint-Trond au nord.21 Quand les abbayes n'étaient
pas aux clercs, elles relevaient des grands laïcs; le IXe siècle fut en effet un grand moment
19 Voir dans ce volume la communication de Michèle GAILLARD.
20 Sur les élections épiscopales, on se reportera à l'ouvrage de Robert PA RI SOT, où cet auteur examine
chaque cas séparément.
21 Christian PFISTER, L'archevêque de Metz Drogon (823-856), Mélanges Paul Fabre. Etudes d'histoire
du Moyen Age, Paris 1902, p. 101-145.
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