Michel Parisse
LA LOTHARINGIE: NAISSANCE D'UN ESPACE POLITIQUE
La Lotharingie a une histoire courte, qui dure vraiment deux siècles, de 843 à 1047, mais
particulière, originale et riche. Le nom n'a surgi qu'après un siècle d'existence de l'espace
politique concerné, puis il a fait souche et a pris sa place dans l'histoire européenne au-delà
de ce qu'on pouvait espérer. Son histoire a été maintes fois écrite. Invariablement on se
reporte à la grande fresque dressée par Robert Parisot, Le royaume de Lorraine sous les
Carolingiens (843-923)1, qui nous mène de 843 à 925; par la suite plusieurs historiens se
sont essayés à dresser le portrait du duché pendant son premier siècle, le dernier à le faire
fut Walter Mohr, qui à la différence de beaucoup a saisi l'espace dans sa globalité, de la
Frise au jura2. En fait il n'existe pas encore d'histoire complète de la Lotharingie pour la
période où elle était étendue de la Frise à la Bourgogne, quand elle fut placée sous l'auto¬
rité d'un seul roi, puis d'un seul duc.
Il n'est pas dans mon propos de refaire ici le récit des événements ni le portrait des hommes
qui ont nourri l'histoire du royaume de Lothaire de 843 à 925, mais seulement d'insister sur
quelques points, de réfléchir avec vous sur le curieux destin de ce pays. J'utiliserai avec
réticence le terme de Lotharingie pour lui préférer celui contemporain de royaume de
Lothaire, Lotharii regnum. Cet exposé est bâti d'abord sur une définition du royaume de
Lothaire, ensuite sur une analyse de sa prise de conscience humaine.
1. Le royaume de Lothaire.
Puisque la part de l'empereur Lothaire 1er ne correspondait à aucun royaume préexistant, il
convient de s'interroger sur les délimitations fluviales qui se sont imposées pour le définir et
sur la naissance d'une conscience humaine d'appartenance à ce royaume, telle qu'elle s'est
lentement développée dans la mentalité de l'aristocratie lothairienne.
a. Naissance de la Francia media
Un coup d'oeil sur les cartes qui furent dressées des différents partages imaginés par les sou¬
verains carolingiens fait rapidement apparaître l'originalité que représente le découpage de
843 au profit du fils aîné de Louis le Pieux3.
Un habitant de ces régions, l'abbé de Prum Réginon, un demi-siècle après l'accord de Ver¬
dun, mentionnait à sa manière la décision prise: „L'an 842 les trois frères susdits se par¬
1 Cet ouvrage, paru en 1898, publié de nouveau en reprint par Slatkine de Genève en 1975, n'a pas été
remplacé et demeure un ouvrage de référence fondamental.
2 Walter MOHR, Geschichte des Herzogtums Lothringen, Teil I: Geschichte des Herzogtums Groß-
Lothringen (900-1048), Sarrebruck 1974.
3 La représentation de l'empire carolingien au partage de Verdun figure dans tous les atlas historiques.
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