à fait extérieures, qu’on peut résumer en quelques formules : lente décadence de
l’Espagne, difficultés internes de l’Angleterre sous des rois incertains ou mal acceptés
parce que pro-catholiques ; non-unification de l’Allemagne malgré l’éclatante dignité
d’un Empereur assez dépourvu de pouvoir réel ; état semi-anarchique de la Moscovie,
qui n’est pas encore devenue la Russie de Pierre le Grand ; trop faible poids démogra¬
phique du pays le plus moderne, le plus efficace et le plus libéral d’Europe, les Pays-
Bas. Mais ce sont là des éléments négatifs. Il y avait dans la France elle-même bien des
éléments, qu’on peut appeler structurels, qui expliquaient son exceptionnelle puis¬
sance dans les années Quatre-Vingt du XVIIe siècle ; pour les définir en quelques
mots : une population particulièrement abondante et particulièrement riche, enserrée
par un appareil politique et financier particulièrement efficace en son temps.
C’est pourquoi je dois désormais dégager les traits fondamentaux des structures
démographiques, puis économiques, puis politiques, du royaume de France et de la
société française au temps de l’apogée traditionnel du règne de Louis XIV, et laisser le
reste de côté.
Après avoir été longtemps méconnues ou mal connues, les structures démographi¬
ques de la France de Louis XIV (et de Vauban) ont beaucoup été étudiées depuis une
vingtaine d’années, spécialement dans les campagnes, ce qui est l’essentiel puisque le
royaume était composé de paysans pour plus des trois quarts. Nous savons désormais
qu’à peu près tout le monde se mariait, mais à un âge assez élevé (25 ans pour les fil¬
les, au moins 28 pour les garçons) ce qui ne constitue pas précisément un signe favo¬
rable, puisqu’on se mariait bien plus jeune dans la période 1550—1600. Après une
première naissance assez rapide, mais presque toujours au moins neuf mois après le
mariage — preuve de vertu peut-être! —, les femmes accouchaient tous les deux ans
ou tous les 30 mois, la longueur de l’allaitement au sein expliquant sans doute ces
intervalles assez longs. Au moins un quart des petits enfants mouraient dès la pre¬
mière année, un autre quart avant 20 ans ; il fallait donc une moyenne de cinq nais¬
sances par mariage pour que la reproduction soit assurée, ainsi qu’une légère crois¬
sance démographique. Cela semble bien être le cas ; en effet, l’existence de famille très
étroites, un à 3 enfants, ou aucun (7 à 8 % des couples étant stériles) est largement
compensée par la présence de familles assez nombreuses — 5 à 10 enfants, mais très
rarement de familles très nombreuses, ce qui est dû à la fois au retard au mariage (25
ans, soit 15 à 18 ans de vie féconde) et à la mortalité assez élevée des femmes en
couches. Si bien que la population du royaume de France aurait eu tendance à s’élever
modérément et constamment, si ce mouvement quasi-naturel n’avait été entravé par
tout un système de freins, que peut résumer la fameuse trilogie des textes religieux et
politiques î la guerre, la famine et la peste. Ces trois éléments avaient joué leur rôle
traditionnel, à des degrés divers. Les „malheurs de la guerre“ avaient frappé la France
de l’Est pendant la Guerre de Trente Ans, presque autant que l’Allemagne ; les Fron¬
des, guerres civiles mêlées d’interventions étrangères, prolongèrent les ravages jusque
vers 1653. Puis les destructions s’arrêtèrent à peu près, au moins en France. Les sol¬
dats véhiculaient et répandaient de graves épidémies, dont la peste, violente jusque
vers 1650, mais qui disparut de France à partir de 1670, sauf l’épisode localisé mais
horrible de Marseille en 1720. Mais de puissantes épidémies prirent le relais, varioles,
grippes, diphtéries, tuberculoses et dysenteries de toutes sortes. De temps à autre, les
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