contre les attaques répétées des corps de métiers réclamant leur expulsion ou la réduc¬
tion de leurs activités98 99. Les deux familles qu’avaient fait expulser les bouchers de
Sarrelouis en juillet 1710 y reviennent officiellement en décembre 1715 contre l’enga¬
gement de fournir aux soldats la viande à moindre prix que ceux-ci. Inquiétés en 1737
par une offensive générale des corporations, leurs descendants trouvent en l’intendant
un défenseur efficace. La vente de brevets de maîtrise ayant amené, de 1767 à 1776,
six familles nouvelles, une partie de la ville se mobilise pour réclamer leur expulsion.
Rien n’y fit et les officiers municipaux durent désavouer, en février 1779, une démar¬
che indécente née de l’esprit de cabale dont cette petite ville n’est que trop infectée".
Protégés parce qu’indispensables, les juifs de Metz et des places évéchoises —
Verdun exceptée — sont à la croisée de presque toutes les opérations qui font vivre
l’armée, comme le révèlent les documents repérés dans les dépôts parisiens par
l’équipe de Bernhard Blumenkranz ou les dossiers de faillite, les comptes des tréso¬
riers, la correspondance des gouverneurs et des intendants éparpillés dans les fonds
locaux100. Opérations spectaculaires lorsque la guerre menace ou sévit, tels la concen¬
tration à Metz en six semaines de 7 000 chevaux (1727) et le marché de 2793 autres,
d’une valeur de 669.634 l.t., conclu le 24 novembre 1735 entre Bernard Creisnac
(Creutznach) de Mayence et Abraham Levy de Metz, pourtant au bord de la faillite en
août 1734101. Opérations de routine, comme les fournitures annuelles de céréales et
de fourrages, de draps, tentes et autres sulers (souliers) avec ou sans clus effectuée par
des marchands polyvalents dont Alexandre Hesse, en correspondance suivie avec le
diministration de guer et de commers martime est le type achevé ; comme les avances
perpétuelles aux capitaines de compagnies et aux trésoriers des guerres ou de l’artille¬
rie, dont le recouvrement nécessite toujours l’intervention des gouverneurs102. Auxi¬
liaire logistique des garnisons, la communauté judéo-messine fut une des composantes
originales de la société des Evêchés et un des rouages essentiels de leur économie au
XVIIIe siècle par ses ramifications au sein et hors de la province.
A ce niveau, la sédentarisation des garnisons a infléchi l’évolution économique de
l’espace lorrain. Plus que la production des céréales, elle a surtout encouragé, au sein
de l’espace douanier constitué par les provinces « à l’instar de l’étranger effectif », le
commerce céréalier qui permit longtemps d’éviter de trop fortes tensions sur le marché
de consommation de l’Est du royaume en y versant les surplus tirés des zones produc¬
trices de l’Ouest du Reich, réputées pour leurs bas prix. En gros, le blé local, relative¬
ment cher, était réservé aux civils et le blé étranger, relativement moins cher, aux
98 Robert Anchel, La vie économique des Juifs de Metz aux XVIIe et XVIIIe siècles dans Les
Juifs de France, Paris, 1946, p. 153—212 (citations p. 179 et 177) et Gilbert Cahen, La ré¬
gion lorraine, 1500—1789 dans Histoire des Juifs en France, Toulouse, Privât, 1972, p.
77—136.
99 AM Saarlouis K 30 II-3, délibérations des 6 mai 1776, 20 janvier 1777, 24 novembre 1778 ;
BN NAF 22706, ff° 89—110, Mémoire des maire, syndics de Sarrelouis, des corps des mar¬
chands et bouchers, Metz 1777, 43 p., in-4 ; AD Moselle C 833—6, correspondance Ville-
Intendance, janvier-mars 1779 ; K. Hoppstâdter, Der Jude in der Geschichte des Saarlan-
des, Kaiserslautern, 1943.
100 Documents modernes sur les Juifs, XVIe—XXe siècles, Toulouse, Privât, 1979, t. I, 667 p.
101 BN NAF 22 705, ff° 262—264 et 274—277. AN MC CX 342.
102 AD Moselle J 6606, journal commercial de Hesse 1767—1769 et C 1, f°114 v°-115 r°, inter¬
vention du maréchal d’Armentières, le 14 mars 1766, en faveur des frères Goudchaux, créan¬
ciers du régiment d’Anhalt pour 5 430 l.t.
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