LE PROBLÈME DE LA NATURE 6l
de nombreux philosophes continuèrent à chercher la
solution du problème séculaire, de sorte qu’il serait inté¬
ressant de retracer ici l’histoire de toutes leurs tentatives si
nous en avions le loisir. Une telle persévérance est du
reste fort naturelle. Ce problème pose une question essen¬
tielle à la philosophie, et n’est pas un simple thème d’exer¬
cices intellectuels comme on le dit en général de tous les
arguments qui passionnèrent les penseurs du moyen âge.
La forme est, au fond, l’idée du monde, sa raison, son plan,
son logos, Dieu en un mot, et la matière est de son côté
le terme obscur, mais irréductible à l’essence de Dieu, qui
permet que le monde soit distinct de Dieu tout en actuant
une pensée divine. Quiconque se fait une conception du
monde, de quelque façon qu’il le conçoive, y voit un plan,
un ordre, une certaine rationalité qui lui confère l’intelli¬
gibilité : intelligibilité fort relative sans doute, mais qui
est tout ce que ce monde en possède. Galilée a réduit à des
rapports géométriques l’intelligibilité de la nature, qui repré¬
sentait pour lui l’univers dans sa totalité. Et ces rapports
devinrent à ses yeux des lois concevables en soi indépen¬
damment de leur vérification dans les phénomènes natu¬
rels; il alla même jusqu’à en faire une sorte de logique
présidant à l’action ou, plus exactement, à la réalisation
de la nature. Hegel à son tour construisit un système de
logique pure fort compliqué, dans le but de rendre le monde
intelligible au philosophe ; et cette logique se présente à
la pensée, dans son élément pur, le logos, comme le plan
étemel selon lequel le monde se réalise.
Il ne sera jamais possible de voir la réalité autrement
qu’à la lumière d’une idée. Idée qui se détachera du fait,
dès que nous aurons conçu la réalité comme un fait positif
et par conséquent contingent; elle s’en détachera idéale¬
ment et se posera comme une idée pure, distincte du fait,
et de laquelle on ne saurait s’empêcher de se demander
comment elle s’est faite. Or cette question n’est pas essen¬
tiellement différente du quid est principium individui.
Celle-ci suppose, comme nous l'avons déjà dit et suffisam¬
ment expliqué, une intuition immédiate nettement dualiste,
et elle ne devrait pas surgir dans les philosophies monistes