LE PROBLÈME DE LA NATURE
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des deux termes engendre l’unité qui constitue l’individu.
Nous les voyons, séparés en deux camps, se combattre d’au¬
tant plus longuement qu’ils ont des raisons invincibles
pour soutenir que le principe d’individualité est dans la
forme, et de tout aussi invincibles raisons pour soutenir qu’il
est dans la matière. Aussi opposent-ils thèses et antithèses
à thèses et antithèses, sans pouvoir échapper à cette
insoluble antinomie.
Il est évident en effet que si la dualité est admise, il
devient nécessaire, pour comprendre le rapport des deux
termes, qui n’est pas un rapport a priori dont puisse
dépendre l’être de chacun des deux termes, d'opter pour
l’un des deux : penser d’abord et seulement la matière, ou
bien d’abord et seulement la forme. Car penser ensemble
l’une et l’autre est impossible dès que l’hypothèse de la
dualité est admise, la dualité impliquant que chacun des
deux termes est ce qu’il est en dehors de l’autre et
l’excluant pour ainsi dire.
Or, en considérant la matière en tant que matière, on a
devant soi un pur indéterminé, incapable d’une auto¬
détermination quelconque, et qui ne peut par conséquent
être individualisé que grâce à son opposé, la forme, qui
devient ainsi le principe individualisant. Mais cette déduc¬
tion n’est légitime qu’autant qu’elle admet la déduction
contraire. Elle n’est en effet possible que grâce au concept
de la matière abstraite, qui suppose le concept de la forme
abstraite. Pour nier celle-ci, il faudrait nier celle-là, matière
complètement indéterminée, et détruire ainsi la base même
de la déduction que nous avons faite.
Considérons maintenant la forme en tant que forme,
et le même terme qui, pris au point de vue précédent, nous
apparaissait comme la cause essentielle de toute détermina¬
tion, nous apparaîtra non plus déterminant mais exclusi¬
vement déterminable et absolument indéterminé. La forme,
dans sa pure idéalité, ne saurait être que la possibilité de
tous les individus particuliers, et non l’un de ces individus
possibles. Il faut qu’elle s’incorpore et se détermine comme
un être particulier, et une telle incarnation ne peut être
ni une autotransformation ni une autogénération. Comme