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l’esprit, acte pur
cette limite semblerait entraîner une limitation de la réalité
de l’esprit, et la négation de l’infinité qui a été déclarée
immanente au concept d’esprit. Un problème se pose ici :
qu’est donc cette nature qui s’oppose à l’esprit et se sous¬
trait à toute représentation dialectique ? nature que l'es¬
prit trouve devant lui comme son antécédent ? et la solu¬
tion en est indispensable pour que l’affirmation de l'unité
infinie de l'esprit puisse subsister.
2. Individualité de la nature. — Pour pouvoir définir
la nature, une distinction préalable est nécessaire ; doit-
elle être considérée comme un genre ou un universel, ou bien
comme un individu ? La distinction nette entre le genre et
l’individu ayant surgi avec Socrate, Platon fut induit par la
tendance spéculative et transcendante de sa philosophie à
concevoir la nature comme un genre et, par conséquent,
à résoudre dans l’idée de la nature ce que la réalité natu¬
relle a d’immédiat et de positif. Le véritable cheval pour
Platon n’est pas un individu, mais l’espèce (i), rux-iroT/jç
de laquelle, dit-on, se moquait son adversaire Anti-
sthène (2). Il lui était du reste impossible de concevoir
autrement une nature qui fût objet de science, ou qui fût,
simplement, sans idée. Mais cette transcendance plato¬
nique qui tomba sous la critique d’Aristote parce qu'elle
rendait inconcevable l’individu, qui, en obsédant la pensée
par son exigence d'être compris dans son actualité, avait
soulevé le problème socratique de l’universel. Pour Aristote
la nature, dans son opposition même à la pensée, est en
effet l’unité de la forme, ou idée, et de son contraire qui
est la matière, le non-être de Platon : parce que la subs¬
tance consiste précisément dans l’unité qu’est l’individu.
Aussi voyons-nous dans sa doctrine la nature commencer
à opposer à l'universalité de l’idée, ou de la pensée pure,
sa propre individualité, qui implique l'incarnation de la
forme dans la matière ; incarnation qui consiste dans l'auto-
actuation d’une puissance à travers la réalisation de la
(1) En nous servant du mot espèce nous n’entendrons pas l’employer dans
le sens empirique que lui donne le naturaliste.
(2) Simplicius, dans Arist., Cat. 66 b, 45 Br.