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l’esprit, acte pur
est évidemment une abstraction ; parce qu’elle se borne
à considérer la réalité telle qu’elle est et ne peut pas être,
séparée qu’elle soit de l’activité spirituelle, qui pourtant
la conditionne nécessairement, rationnellement bonne,
comme elle doit l’être. Et il est en outre évident que toute
pensée tendant à la conception naturalistique de la vie,
prise en soi telle quelle indépendamment de nos efforts
pour la changer, doit logiquement aboutir au pessimisme.
Enfin il n’est pas de pessimisme qui n’ait pour base une
vision naturaliste du réel ; comme il n’est pas de natura¬
lisme, pur et cohérent, qui n’engendre point le pessimisme.
Mais pratiquement ce n’est pas là le plus important
corollaire. Si la vraie réalité, pour l’homme qui ne fait
pas abstraction du point de vue morale, est non pas celle
qui est, mais celle qui doit être, il n’est pas possible de
comprendre avant d’aimer et il ne sera jamais possible
d’aimer si pour aimer il faut comprendre. On aime en
effet ce qui a de la valeur et répond à l’idéal. Aimer est
vouloir : vouloir l'intimité qui est propre à la réalité que
nous voulons effectivement réaliser et qu’ipso facto nous
réalisons : l’intimité de la réalité avec notre âme, avec
notre cœur vibrant dans son élan vital vers l’objet. Or
ce que nous voulons, du fait que nous le voulons, ne peut
pas être déjà dans le monde. Ce n’est pas la terre que nous
voulons mais la possession de la terre, en d’autres mots
c’est la terre en tant que nôtre, possédée par nous et par
suite en tant que partie de notre vie. Et nous aimons
cette terre, et nous ne savons pas y renoncer. De la même
façon nous aimons un être animé, de la même façon un être
spirituel ou humain, une personne. Dans tous les cas l'être
que nous aimons est créé une seconde fois par notre amour.
Il est de nouveau créé immédiatement et médiatement : il
est pour nous un être nouveau dès que nous commençons
à l’aimer ; mais le devient réellement par une transfor¬
mation continuelle et progressive en conséquence de notre
amour qui agit toujours plus énergiquement sur lui, et
graduellement le rend conforme à son propre idéal.
En somme l’objet de l’amour, quel qu’il soit, ne pré¬
existe pas à l’amour puisqu’il en est la création ; aussi est-