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l’esprit, acte pur
tourment de toute ma vie. Elles sont devenues histoire,
ne fût-ce que dans le sanctuaire secret de mon âme.
C’est en ce sens que la nature et l’histoire coïncident, en
dépit de la différence profonde qu’établit, entre les faits
historiques et les faits naturels, la constatation que les pre¬
miers sont, au moins à l’origine, des actes spirituels, tandis
que les faits naturels ne le sont jamais. Elles coïncident
néanmoins, disons-nous, parce qu’elles impliquent toutes
deux un rapport d’altérité avec le Moi qui les connaît, rap¬
port sans lequel on ne saurait parler ni de l’une ni de l’autre.
9. Spatialité de la nature et de l’histoire prise comme
nature. — Ce n’est pas tout. Dans le concept ordinaire
de nature et d’histoire, c’est-à-dire dans le concept que
les naturalistes ont de la nature, et les historiens de l’his¬
toire, cette altérité est une altérité absolue. Non pas l’alté¬
rité en considération de laquelle nous disons que l’impen¬
sable est pensé, mais l’altérité qui nous oblige à dire que
le pensé est impensable. La nature du naturaliste est la
nature qui n’a point de fin ou de but, la nature étrangère à
l’esprit : la nature dont on ne connaît que le phénomène ;
la nature des ignorabimus résignés ou désespérés. Et l’his¬
toire des historiens est l'abîme sans fond du passé qui se
perd et s'évanouit dans le lointain de la préhistoire, où
sont pourtant implantées les racines de l'arbre de la civi¬
lisation ; c’est l’histoire des actions accomplies par les
hommes, dont l’âme n’est reconstituée que par une ima¬
gination dénuée de tout droit scientifique. Naturalistes
et historiens s’arrêtent à l’ÔTt sans chercher le $161:1. Car
l’altérité comme ils l’entendent ne constitue pas une unité
substantielle, un moment de la dialectique de l'unité
comme l’objet que nous avons opposé au sujet : elle est
une altérité entière et radicale, c’est-à-dire une multiplicité.
C’est ainsi que la nature se déploie, et dans le temps et dans
l'espace (où toute spiritualité est inconcevable), que l'his¬
toire se déploie pour le moins dans le temps qui est aussi,
nous le savons, une espèce d’espace, et, comme l'espace,
implique dans la succession de l’avant et de l’après l’ex¬
clusion réciproque des éléments de la multiplicité.