CHAPITRE XIV
L’Art, la Religion et l’Histoire
i. Le caractère de l'art. — Il est une observation qui
semble vraiment digne d’être introduite dans le concept
de l’art, en tant que distinct de celui de la philosophie,
et c'est la suivante : un système philosophique n’exclut
de son champ spéculatif rien de pensable ; et la philoso¬
phie apparaît dès que la réalité à laquelle tend l’esprit
est la réalité absolue qui comprend tout ce qui peut être
pensé. L'œuvre d’art, de son côté, exprime bien elle aussi
un monde, mais exclusivement le monde de l’artiste qui,
lorsqu’il retourne de l'art à la vie, a conscience de passer
à une réalité différente de celle de sa fantaisie. Le propre
de la vie chantée par le poète est de ne pas s’entremêler
à la vie que se propose l'homme pratique, et que la philo¬
sophie cherche à reconstruire logiquement dans sa pensée.
Elle ne peut s’y entremêler, disons-nous, parce qu’elle est
une libre création du sujet qui se détache du réel, dans
lequel le sujet lui-même s'est pourtant réalisé et quasi
enchaîné, et parce qu’elle se pose dans sa subjectivité abs¬
traite et immédiate.
Les sentiments que la bien-aimée inspire à un Leopardi :
Viva mirarti ornai
Nulla speme m’avanza ;
S'allor non fosse, aliar che ignudo e solo,
Per novo calle a peregrina stanza
Verrà lo spirto mio. Già sul novello
Aprir di mia giornata incerta e bruna
Te viatrice in questo arido suolo