l'antinomie historique
195
le développement de son propre objet si ce n’est comme
le développement de son propre concept, ou de lui-
même, ce qui signifie la même chose. Et M. Gentile
ne voit pas comment l’infinité des problèmes philoso¬
phiques, dont chacun est individuellement déterminé et
par conséquent différent des autres, que Croce relève à
juste titre dans l’histoire de la philosophie, puisse détruire
pour lui l’unité du problème philosophique que tout his¬
torien voit et verra toujours dans cette histoire : pour
Croce lui-même la différence de la distinction non seule¬
ment n’exclut pas, mais exige et implique l’unité. En
dépit des belles réflexions exposées dans son mémoire :
« Inizio, periodi e carattere délia Storia delV Estética » (Nuovi
Saggi di Estética, Bari 1920, page 108), à propos des divers
problèmes entre lesquels s’est graduellement dessiné celui
de l'art, c’est à travers tous ces problèmes si divers et
distincts que s’est développé le concept de l'art qu'a
tout penseur esthétique se proposant d’écrire l'histoire
de l’esthétique, et qui est au fond le problème « unique » de
l'esthétique, analogue au problème unique de la philosophie
en général.
Pour nier l’unité d’un tel problème, il faudrait renoncer
à la doctrine du concept comme développement, et c’est
impossible, car il faudrait nier en même temps l’unité de
chacun des problèmes particuliers dont l’ensemble cons¬
titue la série. Chaque problème particulier se complique
en effet de beaucoup d'autres problèmes qui sont particu¬
liers par rapport à lui, et dans la chaîne et le développement
desquels s’articule la pensée du tout qui, s'il en était
autrement, ne serait pas une pensée, mais une intuition
insaisissable. Or Croce ne veut certainement pas se mettre
sur cette voie, et le chapitre du livre qu’il a intitulé La
distinzione e la divisione suffit amplement pour démontrer
son attachement à l’unité. M. Croce y insiste sur la néces¬
sité de ne pas séparer les diverses histoires spéciales qui
concrètement ne sont qu'une seule histoire générale
(page 107). Celle-ci, à son tour, ne fait qu’un avec la
philosophie, c’est-à-dire précisément avec l’histoire de la
philosophie.