CHAPITRE IX
L’espace et le temps
I. L’espace et le temps, systèmes de la multiplicité. —
L’espace et le temps sont les deux systèmes de la mul¬
tiplicité ; c’est en cette qualité qu’ils sont considérés comme
le vaste dépôt du positif, du réel effectif, de l’indivi¬
dualité concrète. Ce qui est positivement réel est ce qui
existe, or ce qui existe existe dans le temps et dans l'es¬
pace. La nature, règne de ce qui existe, a toujours été repré¬
sentée, depuis qu'on l’oppose à la pensée, précisément comme
l’ensemble des individus coexistant dans l’espace et se
succédant dans le temps. Kant lui-même, qui fit de l’espace
et du temps deux formes a priori de l’expérience, c’est-à-
dire deux modes selon lesquelles l’activité unificatrice de
l’esprit travaille sur les données de la sensibilité immédiate,
ne crut pas pouvoir garantir l’objectivité positive de l’in¬
tuition sensible sans présupposer à la multiplicité, unifiée
dans l’espace et dans le temps, une autre multiplicité
non encore unifiée par le sujet, mais servant de base à cette
unification. Il est néanmoins aisé de s’apercevoir, pour
peu qu’on réfléchisse, que cette multiplicité n’est pas, et ne
saurait être, dépourvue de toute spatialité et temporalité :
car qui dit multiplicité implique le temps et l'espace. Et c’est
pour cela que les intuitions purement subjectives de Kant
— formes appartenant a priori aux sensations, qu’il estime
n’être pas suffisantes à elle-mcmes et partant devoir s’ap¬
puyer à une matière qui leur est étrangère — finissent par
être présupposées à elles-mêmes, c’est-à-dire par être avant
d'être.